Campagne Amaryllis-Amagas : Aline Govin, co-cheffe de mission leg 2


Découvrez l’interview réalisée par Patrick Chompré, d’Aline Govin, paléo-climatologue au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE-IPSL) et cheffe de mission française du leg 2 Amaryllis.

Comment est née cette mission ?

Aline Govin (A.G) : C’est le résultat d’un travail de longue haleine ! J’ai commencé à l’imaginer en Allemagne, à Brème où je faisais mon post doctorat. Une première campagne au large du Brésil avait collecté de magnifiques mais courtes carottes de sédiments marins, ne permettant pas de remonter très loin dans le temps. Les sites étaient donc identifiés, il fallait y retourner, faire d’autres prélèvements pour investiguer un passé plus lointain. De retour en France en 2015, j’ai commencé à murir et rédiger le projet, puis passer par toutes les étapes : Interactions avec les chercheurs et les partenaires, écriture, évaluation scientifique par la Commission Nationale de la Flotte Hauturière, nouvelles interactions, ré écriture, amélioration et soumission du projet, enfin le feu vert… puis le Covid et la hausse des prix du carburants sont passés par là…

 

Et là enfin nous y sommes ! Le premier objectif scientifique de cette mission c’est de reconstruire l’histoire climatique de la région amazonienne ?

A.G : C’est pour moi l’objectif principal de cette campagne, celui qui me concerne directement en termes de thématique scientifique. Climat, précipitation, végétation, érosion : L’idée est de voir comment les changements ont eu lieu dans le passé, jusqu’à 1 million d’années ! Il y aura aussi des mesures faites sur les 200 dernières années pour voir l’influence des activités humaines sur ce climat. Nous avons toute une batterie de traceurs qui vont nous permettre de reconstituer les différentes périodes climatiques. Par exemple il y a 125000 ans il y a eu une période sur la Terre globalement un peu plus chaude qu’aujourd’hui. Les causes du réchauffement étaient différentes du changement climatique actuel, mais c’est un bon exemple à étudier pour mieux comprendre comment peut évoluer le climat aujourd’hui dans cette période de réchauffement. Quels types de précipitations, quel impact sur la végétation, comment la circulation des courants dans l’océan a-t-elle été affecté ? Comprendre cette période passée peut nous aider à anticiper l’avenir.

 

Quelles sont les techniques d’investigation pour retrouver cette histoire ?

A.G : Nous ferons du carottage de sédiment marin avec notamment le carottier Calypso qui permet de faire des prélèvements de 70 mètres de long et donc de remonter très loin dans les archives climatiques. C’est une grande spécificité française, développée par l’Institut polaire français… Et c’est la raison pour laquelle cette demande de campagne est née en France et pas dans un autre pays.

Nous aurons aussi d’autres types de carottes : Certaines plus courtes, environ 12 mètres de long mais plus larges qui vont nous permettre de collecter beaucoup d’échantillons et qui conservent mieux le sédiment le plus récent. D’autres encore appelées “multi tubes” pour collecter le sédiment de surface et calibrer nos traceurs.

Nous aurons aussi de quoi faire des mesures en continu de l’eau de surface : fluorescence, température et salinité, concentration de CO2, isotopes stables de l’eau. Important également, nous pourrons analyser la nature des fonds marins grâce à l’imagerie acoustique et repérer ainsi les meilleurs endroits pour nos prélèvements. Beaucoup de matériel en fait !

 

Comment allez-vous “lire” les informations livrées par ces prélèvements ?

A.G : Les carottes récupèrent les sédiments, mélange d’argile et de restes de micro-organismes qui ont vécu dans l’océan au fil des époques. Il y a d’abord les traceurs organiques comme ces coquilles de foraminifères, un peu comme un petit “escargot de mer” qui vit dans l’océan. Quand il meurt, il tombe avec sa coquille au fond de l’océan. Sur ces coquilles, on peut faire des mesures de datation au carbone quatorze. On peut trouver aussi des pollens, diverses molécules organiques, restes de plancton, de micro-organismes. On peut aussi remonter à la composition chimique de l’eau. Tout cela nous donne accès à de nombreuses informations comme la température, la salinité, le type de végétation sur le continent, la circulation profonde dans l’océan.

Ensuite Il y a toute une batterie de traceurs de géochimie inorganique. On peut par exemple mesurer les concentrations de fer, d’aluminium, titane, silicium ou autre élément dans le sédiment. Avec ceux-ci, on peut avoir accès à ce qui touche à l’érosion et à l’altération des sols sur le continent et donc aux précipitations dans le passé.

Enfin, nous ferons ces prélèvements dans plus d’une dizaine de lieux différents, d’abord autour de l’embouchure du fleuve Amazone puis en amont. C’est important car cela va nous montrer les évolutions du climat dans la région du Nordeste, la région la plus aride du Brésil et dans celle du bassin amazonien. Deux régions bien différentes qui ont connu des variations à plusieurs échelles de temps. De quoi mettre à jour les mécanismes à l’œuvre et les interactions entre ces deux régions, notamment pour la période que l’on peut comparer avec la nôtre, il y a 125 000 ans.

 

Deuxième objectif scientifique de cette mission : Évaluer la contribution des poussières sahariennes déposées dans cette région à l’actuel et au cours du dernier million d’années, notamment leur rôle de fertilisants sur la forêt amazonienne. En quoi ce phénomène est-il important ?

A.G : Les tempêtes soulèvent les poussières du Sahara et celles -ci sont poussées par les vents dominants, les alizés. Elles traversent l’océan Atlantique à raison de plusieurs dizaines de tonnes de chaque année. Le phénomène est connu et quantifié grâce aux observatoires de la Barbade ou de la Guyane. Entre les mois de mai et de juillet, ces poussières atteignent ainsi le bassin amazonien. Or elles sont riches en fer, en phosphore et en nutriments. Autant dire qu’elles ont un rôle important pour le développement de la forêt amazonienne. Si on arrive à bien déterminer la quantité de ces dépôts, leur nature, leur histoire, cela peut nous aider à comprendre et prévoir les évolutions de la période actuelle de réchauffement climatique.

 

Comment allez-vous détecter ces poussières ?

A.G : Pour le présent, nous allons accrocher au mat du bateau des pièges à poussières, des filtres à particules qui vont capter les aérosols au quotidien. On va alors les analyser, voir de quoi elles se composent et déterminer ainsi ce que l’on appelle leur signature minéralogique.

Ensuite, pour les poussières déposées dans le passé, nous allons à nouveau faire du carottage dans un site bien particulier, en amont de l’embouchure de l’Amazone. Là, nous n’avons pas tous les sédiments charriés par le fleuve et nous pourrons identifier ce qui vient du Sahara. Si notre carotte atteint les 30 mètres de long nous pourrons remonter jusqu’à un million d’années, ça serait une véritable mine d’informations !

 

Enfin, troisième thématique : l’étendue des sorties de gaz dans l’océan…

A.G : L’Amazone c’est le débit d’eau le plus élevé au monde et aussi celui qui transporte le plus de sédiments. A son embouchure se forme un gros cône d’accumulation des matériaux, avec notamment la présence d’hydrates de gaz, enfermés dans les sédiments. Ces gaz sont instables et peuvent s’échapper suivant la température de l’eau et d’autres paramètres. Le but est donc de les étudier, de les détecter par exemple dans les bulles d’air qui remontent à la surface ou dans les sédiments. Nous ferons des mesures sur les sites qui nous intéressent mais c’est surtout un objectif qui concerne la première partie de la mission, ce que l’on appelle le leg 1, qui ira de la Barbade à Paramaribo.

 

Amaryllis est une mission ambitieuse, qu’est-ce qu’il faudrait pour qu’elle soit réussie ?

A.G : Nous allons avoir onze stations de prélèvements. Si nous arrivions à rapporter des carottes de bonne longueur, 40, 50, 60 mètres de chacun de ces sites ça serait vraiment une réussite. Les deux tiers déjà ça serait bien et cela pourra nous occuper pour les prochaines 10 ou 15 années ! Le vrai travail va commencer en fait quand les carottes arriveront dans les laboratoires. Là on va retrouver et mesurer nos traceurs, comparer les régions, les périodes de temps. Ne perdons pas de vue qu’il y aura à bord, pour cette deuxième partie de la mission, 56 scientifiques issus de 7 laboratoires français et 3 universités étrangères, qui vont ensuite travailler sur les résultats. Cette campagne est vraiment internationale et n’aurait d’ailleurs pas vu le jour sans la participation et l’implication de nos partenaires brésiliens, les universités de Sao Paulo et l’Université Fédérale Fluminense.

 

Nous sommes à quelques semaines du départ, qu’est ce qu’il reste à faire ?

A.G : De nombreuses étapes administratives, mais clairement on se rapproche du but. Tous les voyants sont globalement au vert : les participants sont identifiés, les objectifs clairs, la logistique définie. Enfin, à l’heure où nous nous parlons il me manque juste le feu vert des autorités brésiliennes pour être tout à fait détendue, mais j’ai confiance !

 

Propos recueillis par Patrick Chompré ()

 

Pour en savoir plus

Source
Amaryllis

Aline Govin


Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE - IPSL)