Ça chauffe aux pôles – Marie-Noëlle Houssais


Du fait de l’inclinaison de la Terre, les rayons du Soleil qui parviennent jusqu’aux pôles sont plus étalés qu’à d’autres endroits du globe. Plongés dans l’obscurité d’un hiver glacé pendant toute une partie de l’année, on pourrait imaginer qu’aux pôles, les conséquences du réchauffement climatique se déploieraient plus lentement qu’ailleurs.

Pourtant, c’est tout le contraire. Comment cela s’explique-t-il ?

“Il existe plusieurs raisons expliquant l’accélération du réchauffement climatique aux pôles mais la principale, évoquée il y a maintenant plusieurs décennies, est ce que l’on appelle la boucle de rétroaction de l’albédo”, indique Marie-Noëlle Houssais, directrice de recherche CNRS au Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentation et Approches Numériques (LOCEAN).

L’albédo représente la capacité d’une surface à réfléchir la lumière du soleil et l’énergie transmise par son rayonnement : plus une surface est claire, plus elle réfléchit les rayons lumineux, plus elle est sombre, plus elle en absorbe. Par leur enneigement, les régions polaires réfléchissent une grande partie de l’énergie solaire qu’elles reçoivent.

Aujourd’hui, le changement climatique modifie les paramètres du système et bouleverse l’équilibre particulier qui règne ainsi aux pôles. La hausse de la température moyenne de l’atmosphère en surface a pour effet de faire fondre de grandes quantités de glace ou de neige, provoquant ainsi la diminution de l’albédo de ces régions. Or, “plus l’albédo de surface est faible, moins le rayonnement solaire est réfléchi, plus la surface absorbe l’énergie du rayonnement et plus elle se réchauffe. Plus la surface se réchauffe, plus la glace fond, plus l’albédo diminue… C’est un phénomène qui s’auto-entretient”, décrit la physicienne.

Plus de banquise en 2050 ?

 

Ce phénomène de boucle de rétroaction est d’autant plus important en Arctique, où la fonte de la banquise opère principalement en surface, affectant aussi la couche de neige qui la recouvre. Les surfaces dégagées par la fonte y sont plus sombres et absorbent donc plus d’énergie. En Antarctique, la principale cause de fonte est la chaleur apportée par l’océan à la base de la banquise, celle-ci conservant plus longtemps son manteau neigeux et donc un albédo de surface élevé. Ainsi, il est estimé que d’ici 2050, l’océan Arctique connaîtra au moins un été sans banquise. “C’est surtout la probabilité d’occurrence d’étés libres de glaces qui va augmenter dans les années à venir, précise la chercheuse. Actuellement, la banquise arctique se reforme chaque hiver, et si tant est que l’on parvienne à stabiliser le réchauffement global, on peut encore envisager que cette situation perdure”.

Bien que la disparition totale et définitive des glaces de mer arctiques soit encore hypothétique, le réchauffement aux pôles n’est pas sans conséquences sur les autres composantes du système climatique, comme l’explique Marie-Noëlle Houssais :

« Actuellement, la banquise ne régénère pas autant de glace qu’elle en perd sur une année : il y a donc plus d’apport d’eau douce dans les couches de surface de l’océan qu’à l’accoutumée ».

L’eau douce issue de la fonte des glaces a un impact très important sur le fonctionnement des océans polaires puisque dans ces régions de manière générale, la dynamique des masses d’eau est très influencée par la salinité des eaux de surface.

“Tout un pan de la recherche actuelle tente de déterminer l’impact que ces changements de la distribution de l’eau douce en Arctique peuvent avoir sur le fonctionnement de l’océan Arctique et, au-delà, sur la circulation océanique globale”, conclut Marie-Noëlle Houssais.

Marie-Noëlle Houssais


Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentation et Approches Numériques (LOCEAN-IPSL).