À la recherche des temps passés – Amaëlle Landais
Depuis des décennies, l’étude des climats passés est rendue possible par l’extraction de carottes de glace en différents points de la planète. Du Groenland à l’Antarctique, en passant par les différents glaciers tempérés répartis aux quatre coins du monde, comment sont décryptées les informations enfouies dans ces glaces millénaires ?
3623 mètres : il s’agit de la profondeur maximale atteinte à ce jour sur un forage d’extraction de carottes de glace, à la station antarctique de Vostok en janvier 1998. Mais en quoi creuser à de telles profondeurs peut aider les scientifiques à étudier les évolutions climatiques passées ?
Plus on creuse profondément, plus nous pouvons remonter loin dans le temps
explique Amaëlle Landais, paléoclimatologue et glaciologue, directrice de recherche au LSCE. À l’heure actuelle, nous sommes parvenus à collecter des données sur l’histoire du climat sur les 800 000 ans en continu grâce à un forage effectué à la station Antarctique franco-italienne Concordia”, précise-t-elle.
L’idée de lire le climat du passé dans les glaces n’est pas nouvelle. C’est dans les années 1950, au Groenland, qu’ont eu lieu les premières reconstructions du climat à partir de carottages grâce aux travaux de Willi Dansgaard, géophysicien danois. “Il mesurait les isotopes d’oxygène dans les molécules d’eau issues de précipitations. Il a constaté que la proportion de molécules riches en isotopes lourds avait un lien avec la température.”
La possibilité de corréler la proportion d’isotopes d’oxygène des molécules d’eau (H2O) d’un échantillon de neige à la température lors de sa précipitation ouvrait alors un champ de recherche insoupçonné. “Willi Dansgaard a ensuite eu l’idée d’appliquer les mesures isotopiques à la neige et la glace accumulées par les précipitations successives dans la calotte groenlandaise afin de remonter plus loin dans le temps”, poursuit Amaëlle Landais. Il était désormais possible de retracer l’évolution de la température au Groenland sur plusieurs milliers d’années. Les travaux se sont ensuite étendus à la calotte Antarctique avec un rôle important du glaciologue français Claude Lorius.
Lier température et atmosphère pour compléter l’histoire
La température n’est pas la seule donnée passée que les scientifiques parviennent à extraire de la glace. En effet, au fur et à mesure de l’enfouissement des couches de neige et de la transformation de la neige en glace en profondeur, des bulles d’air sont piégées et constituent de vrais échantillons de l’atmosphère passée.
“Une part importante du travail des scientifiques sur les carottes de glace est de reconstituer la séquence temporelle des changements de température et de la composition de l’atmosphère lors des grands changements climatiques qu’a connus notre planète par le passé”, résume Amaëlle Landais. En associant les mesures isotopiques sur la glace et les analyses des bulles d’air, les paléoclimatologues sont parvenus à montrer que lors des dernières transitions entre phases glaciaires et phases interglaciaires, la température de l’Antarctique et la concentration en gaz dioxyde de carbone ont commencé à augmenter en même temps.
Depuis les premiers travaux initiés dans les années 1950, les enjeux autour des carottages glaciaires ont évolué à mesure que se sont affinées les connaissances sur le passé climatique de la Terre, comme l’illustre Amaëlle Landais : “Aujourd’hui, nous cherchons à récolter des échantillons datant de plus de 800 000 ans car nous savons qu’une transition climatique s’est déroulée entre -1,2 MA et -600 000 ans. Il y a eu un changement dans la périodicité entre ères glaciaires et interglaciaires sans que ce soit dû à un changement du forçage orbital, c’est à dire des changements lents de la quantité d’énergie reçue sur Terre depuis le soleil via les variations cycliques d’inclinaison de l’axe de la Terre et de la forme de l’orbite.” Une des hypothèses avance qu’il y aurait eu à ce moment-là un changement dans la composition en gaz à effet de serre de l’atmosphère. Or, pour évaluer cette hypothèse, les scientifiques ont besoin de prélèvements d’air atmosphérique suffisamment âgés. C’est dans ce but qu’est né le projet Beyond EPICA – Oldest Ice avec un forage de glace qui en est maintenant à sa deuxième saison (démarrage en fin 2021). Ce forage devrait permettre d’avoir accès à 1,5 million d’années d’enregistrement glacé.
Pour aller plus loin
https://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim1/rechfran/4theme/paleo/vostok.html
https://www.beyondepica.eu/en/
Rédigé par Marion Barbé.