40 Millions d’observations dans la version 2022 de la base internationale SOCAT de CO2 océanique


La dernière version de la base internationale de données SOCAT (Surface Ocean CO2 atlas, www.socat.info) a été rendue publique le 14 Juin 2022. Cette base, qui rassemble plus de 40 millions d’observations du dioxyde de carbone dans les eaux de surface de l’océan mondial, est le fruit d’une collaboration internationale initiée en 2007 et à laquelle participe le Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL/OSU Ecce Terra, SU/CNRS/MNHN/IRD).

L’océan, par sa capacité à absorber chaque année environ 25 % des émissions anthropiques de CO2 et plus de 90% de la chaleur en excès, joue un rôle crucial pour réguler le changement climatique. Sur environ 690 PgC (Peta-gramme de Carbone) injectés par les activités humaines depuis 1750, on estime que l’océan en a absorbé 180 PgC (Friedlingstein et al., 2022), limitant l’impact des émissions de CO2 anthropique sur le changement climatique. Sans ce puits de carbone océanique, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait aujourd’hui d’environ 500 ppm contre 417.4 ppm observée en moyenne globale en Janvier 2022. Comme annoncé l’an dernier, malgré la diminution ponctuelle d’émissions de CO2 liée au COVID-19, le CO2 atmosphérique a continué son inexorable augmentation, +2.4 ppm en 2020 et +2.7 ppm en 2021.

Dans le contexte d’un climat qui change de décennie en décennie, il est important d’évaluer avec précision chaque année le bilan de carbone global pour mieux comprendre son évolution, ses échanges entre les réservoirs, réduire les incertitudes sur les prédictions climatiques futures et guider les politiques d’actions et d’adaptations au niveau international. Pour cela nous disposons des inventaires sur les émissions anthropiques et l’utilisation de sols, des mesures atmosphériques (taux d’accroissement de CO2), et des observations océaniques (échanges de CO2 air-mer).

Le rôle du compartiment continental étant évalué à partir de modèles ou la part résiduelle des échanges quantifiés entre les autres compartiments (Friedlingstein et al. 2022). Une autre conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH), qui est maintenant bien observé dans toutes les zones océaniques, en particulier via la base SOCAT (Jiang et al 2019). Toutefois, les impacts de l’acidification sur les écosystèmes marins restent à évaluer. Aussi le pH et l’acidification des océans, est maintenant reconnu, au même titre que la température, le niveau de la mer ou la fonte des glaciers, comme une des 7 variables témoin du changement global (Global Climate Indicator, WMO/GCOS, 2018). L’acidification n’est d’ailleurs pas oubliée dans le dernier rapport de la WMO (State of Global Climate 2021, WMO, 18 mai 2022).

Pour quantifier le puits de carbone océanique chaque année il est nécessaire de disposer d’observations de CO2 océanique précises et, si possible, dans tous les secteurs océaniques et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable dans le temps et l’espace, et suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou les zones côtières. Tel est l’objectif de la base de données SOCAT de CO2 océanique, initiée lors d’un workshop à Paris (Metzl et al., 2007) et régulièrement actualisée depuis 2011 (Pfeil et al., 2013; Bakker et al., 2016).

Faisant suite aux précédentes versions, la base SOCAT s’est enrichie cette année d’environ 7 millions de nouvelles données qualifiées provenant de 420 campagnes océanographiques, navires d’opportunité, capteurs sur mouillages ou sur plateformes dérivantes (figure 1). On notera en particulier depuis 2 ans les enregistrements réalisés à bord de voiliers de course au large, observations qui devraient être à nouveau conduites lors du « Vendée-Arctique » (départ le 12 juin dernier) et « La Route du Rhum » à l’automne prochain. Signalons aussi les récentes collectes de données à l’aide de capteurs embarqués sur des « Sail-Drone » (Sutton et al., 2021).

Figure 1. À gauche : Distribution des nouvelles observations de fugacité du CO2 (fCO2, µatm) à la surface de l’océan intégrées cette année dans la base SOCAT-v2022 (420 campagnes principalement pour la période 2020-2021). À droite : L’ensemble des données SOCAT sur la période 1957-2021 (7477 campagnes). Les carrés symbolisent les capteurs de CO2 sur des mouillages. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère étant d’environ 415 ppm en 2021, les zones en bleu-vert (resp. rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). À noter l’absence d’observations récentes dans certains secteurs, notamment le Pacifique Sud et l’océan Indien, ce qui nécessite d’élaborer des modèles d’extrapolation pour évaluer les échanges air-mer de CO2 à grande échelle (figure 2) puis estimer le puits de carbone océanique intégré à l’échelle global sur plusieurs décennies (figure 3).

 

Figure 2. Estimation moyenne des flux annuels de CO2 à l’interface air-mer (en kgC/m2/an) pour la décennie 2011-2020 déduite des modèles océaniques et des méthodes de reconstructions utilisant la base SOCAT. Les zones tropicales sont des sources de CO2 pour l’atmosphère (en rouge), tandis que les régions tempérées et polaires sont des puits de CO2 (en bleu). Source : Global Carbon Project (Friedlingstein et al., 2022).

Figure 3. Le puits de carbone océanique global évalué sur la période 1959-2020 à partir de modèles océaniques (modèles individuels en vert, moyenne ligne noire et incertitude en grisé) ou de méthodes de reconstructions basées sur la base SOCAT (en cyan). Les histogrammes informent sur le nombre d’observations de CO2 dans la base SOCAT utilisées chaque année pour contraindre les méthodes de reconstructions. Source : Global Carbon Project (Friedlingstein et al., 2022). Les modèles, comme les méthodes basées sur les observations, montrent que le puits de carbone océanique augmente. À noter que les observations suggèrent l’existence d’une variabilité interannuelle prononcée, non résolue par les modèles.

 

Depuis la première version de 2011 qui rassemblait 6.3 millions de données, SOCAT contient à ce jour près de 40 millions d’observations in situ de la fugacité de CO2 dans les eaux de surface de l’océan global et zones côtières, couvrant la période 1957-2021 (Bakker et al. 2022). Outre les données originales accessibles en ligne et accompagnées des commentaires d’évaluation (Quality Flag, Lauvset et al., 2019), la base propose également des produits grillés à différentes résolutions pour l’océan ouvert et le domaine côtier, pouvant être utilisés pour construire des climatologies, initialiser et valider les modèles biogéochimiques de l’océan et les modèles couplés climat/carbone (CMIP6) ou contraindre les modèles d’inversions atmosphériques. Un outil de visualisation interactif (LAS Data viewer) permet un accès aisé aux données, dont l’extraction peut se faire par région, période, navire ou plateforme (bouées ou mouillages). Les codes de lecture Matlab des fichiers de données et produits grillés, ainsi que le format ODV (Ocean Data View, https://odv.awi.de/) sont également accessibles en ligne.

Cette base a été mise à profit dans près de 400 publications et nombreux rapports internationaux (www.socat.info/publications.html), dans le cadre d’études sur les échanges air-mer de CO2 aux échelles régionales ou globale, sur l’absorption de CO2 anthropique et l’acidification des océans, ou l’évaluation de modèles biogéochimiques de l’océan et modèles couplés climat/carbone. En particulier:

  • elle est référencée dans les rapports du GIEC (Canadell et al., 2021)
  • elle sert de support aux estimations annuelles du bilan de carbone planétaire (figures 2 et 3, Friedlingstein et al., 2022, www.globalcarbonproject.org) et des rapports annuels sur le climat (Blunden, and Boyer, 2021)
  • elle est exploitée pour mieux évaluer et comprendre les variations saisonnières à décennales du puits de carbone océanique dans l’océan ouvert, les zones côtières ou en Méditerranée (e.g. Rödenbeck et al. 2015; Laruelle et al., 2018 ; Coppola et al., 2021; Chau et al., 2022 ; Metzl et al., 2022 ; DeVries, 2022)
  • elle permet d’évaluer l’évolution de l’acidification des océans (figure 4 ; e.g., Jiang et al., 2019 ; Iida et al., 2020 ; Lo Monaco et al., 2021 ; Leseurre et al., 2022)
  • elle est utilisée pour valider les reconstructions des concentrations de CO2 océaniques dérivées de flotteurs autonomes Bio-ARGO (e.g. Bushinsky et al., 2019).
  • Associées à la base de données GLODAP (glodap.info) pour l’océan intérieur, SOCAT apporte un complément essentiel pour la connaissance du cycle du carbone océanique et les inventaires de CO2 anthropique dans l’océan (Watson et al. 2020 ; Tanhua et al., 2021 ; Crisp et al., 2022).
  • Elle sert de base de travail pour de nouveaux projets internationaux (Wanninkhof et al., 2019 ; projet SOCONET, aoml.noaa.gov/ocd/gcc/SOCONET/)
  • Les données SOCAT sont intégrées à la base GOA-ON (Global Ocean Acidification Observing Network, goa-on.org)
  • SOCAT fait partie de la plateforme Européenne DTO (Digital Twin of the Ocean) : https://www.eu4oceanobs.eu/towards-european-digital-ocean/ ; https://blue-cloud.org/data-infrastructures/socat

 

Figure 4. Exemple d’évolution du pH déduite des données fCO2 de la base SOCAT (produit mensuel) ici dans le secteur des Îles Kerguelen dans l’océan Indien austral (carte insérée). Sur la période 1990-2020, on estime que le pH diminue d’environ -0.002 unité par an (ligne rouge), une diminution directement associée à l’augmentation de fCO2 dans les eaux de surface (code couleur de fCO2 en µatm du bleu au rouge) dû à l’accumulation de carbone d’origine anthropique dans l’océan.

 

Le laboratoire LOCEAN de l’IPSL alimente régulièrement cette base (observatoires SO/OISO, PIRATA, SSS, Bouée Boussole/Dyfamed), contribue au contrôle de qualité des données, et participe à la coordination des groupes Global et régionaux (océans Atlantique Tropical, Indien et Austral). Le projet SOCAT est coordonné par Dorothee Bakker (Université d’East Anglia, Royaume-Uni). Il est soutenu par des programmes internationaux (SOLAS, IMBER, IOCCP, ICOS) et nombreux instituts nationaux, mais il faut aussi noter que le travail de mise à disposition des données et leur contrôle de qualité est principalement réalisé par les chercheurs volontaires et, à l’avenir, assurer la continuité de ces efforts, nécessitera des moyens durables.

Contact

Nicolas Metzl, LOCEAN-IPSL • 01 44 27 33 94 – 06 77 47 72 48 –

 

Références

Bakker, D. C. E., Pfeil, B., Landa, C. S., Metzl, N., O’Brien, K. M., et al., 2016.: A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, doi:10.5194/essd-8-383-2016

Bakker, D., et al., 2022. SOCAT version 2022 for quantification of ocean CO2 uptake. Poster available online www.socat.info

Blunden, J. and T. Boyer, Eds., 2021: “State of the Climate in 2020”. Bull. Amer. Meteor. Soc., 102 (8), Si–S475, https://doi.org/10.1175/2021BAMSStateoftheClimate.1

Bushinsky, S. M., Landschützer, P., Rödenbeck, C., Gray, A. R., Baker, D., et al., 2019. Reassessing Southern Ocean air-sea CO2 flux estimates with the addition of biogeochemical float observations. Global Biogeochemical Cycles, 33. doi: 10.1029/2019GB006176

Canadell, J. G., P. M. S. Monteiro, M. H. Costa, L. Cotrim da Cunha, P. M. Cox, A. V. Eliseev, S. Henson, M. Ishii, S. Jaccard, C. Koven, A. Lohila, P. K. Patra, S. Piao, J. Rogelj, S. Syampungani, S. Zaehle, K.Zickfeld, 2021, Global Carbon and other Biogeochemical Cycles and Feedbacks Supplementary Material. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu and B. Zhou (eds.)]. Available from https://ipcc.ch/static/ar6/wg1.9

Chau, T. T. T., Gehlen, M., and Chevallier, F., 2022: A seamless ensemble-based reconstruction of surface ocean pCO2 and air–sea CO2 fluxes over the global coastal and open oceans, Biogeosciences, 19, 1087–1109, https://doi.org/10.5194/bg-19-1087-2022

Coppola, L., J. Boutin, J.-P. Gattuso, D. Lefèvre, N. Metzl, 2021. Le système des carbonates dans la mer Ligure. In La mer Méditerranée face au changement global, Conditions de la production phytoplanctonique en mer Ligure. C. Migon, P. Nival, A. Sciandra, Eds. (ISTE Science Publishing LTD, London, UK, 2021), vol. 1, chap. 4, pp. 89-114. ISBN: 9781784057329.

Crisp, D., Dolman, H., Tanhua, T., McKinley, G. A., Hauck, J., Bastos, A., et al., 2022. How well do we understand the land-ocean-atmosphere carbon cycle? Reviews of Geophysics, 60, e2021RG000736. https://doi.org/10.1029/2021RG000736

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WMO/GCOS, 2018: https://gcos.wmo.int/en/global-climate-indicators

Nicolas Metzl


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