Les diatomées australes profitent des nutriments apportés par les poussières désertiques et cendres volcaniques


Une réponse phytoplanctonique déclenchée par un dépôt représentatif d’aérosols naturels dans le secteur Indien de l’Océan Austral.

Une étude expérimentale de biogéochimie marine a été menée dans le cadre du programme OISO (Océan Indien Service d’Observations) lors d’une campagne océanographique en janvier-février 2019 dans le secteur Indien de l’Océan Austral à bord du navire N/O Marion Dufresne.

Des incubations (figure 1) montrent qu’un dépôt représentatif d’aérosols naturels déclenche une réponse phytoplanctonique dans différentes régions de l’Océan Austral, tout en modifiant la structure de la communauté planctonique au profit des diatomées. Cette étude menée majoritairement par des chercheurs du LOCEAN-IPSL et LISA-IPSL vient d’être publiée en accès libre dans la revue Limnology and Oceanogaphy.

Figure 1. Photographie des incubateurs embarqués sur le N/O Marion Dufresne, munis de filtres lumineux et alimentés par l’eau de surface pour maintenir un ensoleillement et une température représentatifs de l’océan de surface.

 

Au sein de l’Océan Indien Sud et du secteur Indien de l’Océan Austral, des concentrations contrastées en macro- et micronutriments induisent différentes limitations nutritionnelles pour le phytoplancton. Les communautés de microalgues sont ainsi localement limitées en différents nutriments, ce qui se reflète dans une biomasse variable (exprimée en concentration de chlorophylle-a, figure 2). Au sein de cette vaste zone, des nutriments peuvent arriver à la surface de l’océan via des eaux plus profondes pendant le mélange hivernal, ainsi que de manière épisodique via les interfaces océaniques telles que les aérosols. Dans la période actuelle, seuls de quantités limitées de poussières atmosphériques atteignent les zones lointaines de l’Océan Austral, mais ces dépôts d’aérosols constituent néanmoins l’une des principales sources de nouveaux nutriments pendant la période stratifiée de l’été austral. De plus, des dépôts considérablement plus importants ont été enregistrés dans cette zone pendant les périodes glaciaires et/ou les événements d’éruption volcanique.

Après leur dépôt à la surface de l’océan, les particules de poussières désertiques et cendres volcaniques libèrent des nutriments tels que le fer et le silicium dans l’eau de mer, ce qui peut temporairement stimuler le développement du phytoplancton. Pour évaluer cette réponse au sein des régions biogéochimiques distinctes, nous avons mené des expériences d’incubation en microcosme à différentes stations. Un dépôt sec ou humide de poussières de Patagonie ou de cendres du volcan islandais Eyjafjallajökull ou de nutriments dissous (Si, Fe, N et/ou P) a été ajouté dans des incubations propres d’eau de mer de surface.

Figure 2. Transect OISO-29 montrant les emplacements des cinq stations (LNLC-2, HNLC-11, Kerguelen-A3, HN-LSi-LC-14 et LNLC-16) où les incubations ont été réalisées. La teneur en chlorophylle-a (μg L-1) de janvier 2019 a été obtenue par satellite (MODIS). La position des principaux fronts a été déterminée à partir des données de température satellitaires (janvier 2019, MODIS) : STF, Subtropical Front (18°C) ; SAF, Front arctique subantarctique (13°C) ; PF, Front polaire (5°C). Les fronts délimitent : STZ, Zone Subtropicale ; SAZ, Zone Subantarctique, PFZ : Zone de front polaire ; AZ, Zone Antarctique.

 

Dans cette étude, nous montrons qu’un dépôt réaliste d’aérosols désertiques ou volcaniques constitue une source importante de nutriments à la surface de l’océan, permettant ainsi de déclencher une augmentation significative de l’activité photosynthétique du phytoplancton (fixation de CO2) dans ces différentes régions du secteur Indien de l’Océan Austral (figure 3). Les deux types d’aérosols ont atténué la carence en fer survenant dans l’océan Austral pendant l’été austral et ont entraîné une augmentation de 24 à 110 % de la production primaire, selon la station. La libération de silicium dissous a potentiellement également contribué à cette réponse, bien que dans une moindre mesure. Certains groupes d’algues comme les diatomées bénéficient davantage des nouveaux nutriments (40 à 100 % de l’augmentation de la biomasse algale dans les stations répondantes), modifiant ainsi la structure de la communauté planctonique. En revanche, le même dépôt n’a eu aucun effet dans la partie subtropicale de l’Océan Indien sud, car la limitation en l’azote de cette zone n’a pas été levée par les aérosols.

Figure 3. Représentation schématique de la réponse biologique des communautés phytoplanctoniques après un dépôt sec ou humide de poussières désertiques (D) ou cendres volcaniques (V) dans différentes régions biogéochimiques des Océans Indien Sud et Austral. La partie supérieure de la figure (encadré orange) montre la réponse du phytoplancton au dépôt d’aérosols, tandis que la partie inférieure (encadré bleu) représente les conditions initiales avant le dépôt. La production primaire est exprimée en variation relative (% : +++ supérieur à 100 % ; ++ supérieur à 50 % ; + sous 50 % ; – pas de changement significatif par rapport au contrôle). L’augmentation globale de la teneur en chlorophylle-a (Tchla) est expliquée par la contribution (%) des différentes classes de phytoplancton, basée sur leur signature pigmentaire : microplancton (en rouge, diatomées en foncé et dinoflagellés en clair) ; nanoplancton (en violet) ; et picoplancton (en vert). Le graphique concerne uniquement la couche de surface et la réponse après 48 h, indépendamment de la profondeur et de la chute de particules.

 

Pour en savoir plus

Remerciements

L’étude a été financée par le programme de recherche LEFE (Les Enveloppes Fluides et l’Environnement) de l’INSU à travers les projets BISOU et ITALIANO et par le projet DADDY soutenu par l’IPSL. Les auteurs remercient l’INSU et la Flotte océanographique française pour leur soutien financier et logistique pour la campagne océanographique VT163/OISO-29 (https://doi.org/10.17600/18000972) du programme OISO ; et à Karine Leblanc (MIO Marseille) pour le prêt des incubateurs.

Référence

Geisen, Ridame, Journet, Delmelle, Marie, Lo Monaco, Metzl, Ammar, Kombo, Cardinal (2022). Phytoplanktonic Response to simulated Volcanic and Desert Dust Deposition Events in the South Indian and Southern Oceans. Limnol. Oceanogr. doi : 10.1002/lno.12100

Contacts

 

Carla Geisen


LOCEAN-IPSL