L’évolution incertaine de la circulation océanique – Julie Deshayes


La circulation océanique est-elle en plein effondrement ? Quels seraient les impacts d’un tel phénomène sur le climat ? Cela fait plusieurs années que ces questions sont arrivées dans la sphère publique, au point d’inspirer les passionnés de science-fiction. L’observation d’un tel ralentissement se base pourtant sur des connaissances fragiles et des limites techniques qui invitent à la plus grande prudence.

Depuis plusieurs années, les mesures de la circulation océanique globale semblent indiquer que celle-ci subit un fort ralentissement.

Ces observations sont inquiétantes, car une telle baisse amènerait un cortège de perturbations supplémentaires à celles déjà provoquées par le changement climatique, du fait de l’influence de la circulation océanique sur le cycle hydrologique.

Pour les climatologues, une diminution de cette circulation, c’est une catastrophe dans la catastrophe

À l’affirmer c’est Julie Deshayes, directrice de recherche au laboratoire LOCEAN. Parmi les conséquences les plus solidement établies, on compte notamment l’intensification des sécheresses dans certaines régions du globe, ainsi qu’une augmentation des fortes précipitations dans d’autres. Pire, si cette tendance est avérée, elle pourrait amplifier le réchauffement global en diminuant la capacité de l’océan à capter et stocker le CO2 atmosphérique.

Cependant, les climatologues interprètent cette « tendance » avec beaucoup de précautions. En effet, la circulation de retournement, aussi appelée AMOC, est naturellement en proie à de très fortes fluctuations, car l’océan est régi par des cycles s’emboîtant les uns dans les autres et s’étalant sur des échelles de temps très diverses, pouvant aller du mois au millénaire.

Pour faire face à toute cette complexité, les scientifiques ne sont armés que d’une période d’observation d’une vingtaine d’années. « L’AMOC n’est donc étudié qu’à partir de modèles, avec les incertitudes que cela suppose, car les observations sont malheureusement trop peu nombreuses, » constate Julie Deshayes. Et ce n’est qu’une seule limite.

Aux limites de l’AMOC

« L’AMOC est une construction mathématique, insiste la chercheuse. C’est un outil qui a permis aux climatologues de synthétiser une multitude de courants différents pour comprendre le rôle de l’océan dans le climat, et notamment dans le transfert d’énergie vers les pôles. »

Si l’AMOC est une théorie tout à fait robuste à même de représenter finement l’alternance de certaines ères glaciaires et interglaciaires, il est loin de décrire la réalité des courants dans toute leur complexité et leur diversité, sa vocation étant de servir de synthèse pour les scientifiques. Pourtant, dans les représentations les plus communes de la circulation océanique, les courants sont représentés se déplaçant d’un océan à l’autre en un flux continu et plongeant au niveau des pôles à la manière d’un « tapis roulant ». Cette vision, directement inspirée de l’AMOC, est loin d’être fidèle à la réalité.

Les principaux moteurs de la circulation océanique mondiale sont en fait les gyres, qui décrivent de grands mouvements circulaires dans tous les océans du monde. De cette circulation, seule une part minoritaire des masses d’eau parvient à s’extirper vers d’autres latitudes, et c’est par elle que sont reliés les océans et que s’effectue l’aération des eaux profondes au niveau des pôles. Or, le mouvement des gyres, décrivant ainsi un va et vient d’ouest en est puis d’est en ouest, s’annule dans l’équation de l’AMOC.

Pour Julie Deshayes, l’usage d’une théorie si synthétique est à manier avec prudence : « C’est un très bon outil, mais nous devons nous poser la question de sa légitimité en tant qu’indicateur. »

Peu de solutions existent pour améliorer nos connaissances de la circulation de retournement, mais le maintien des campagnes d’observations en continu est essentiel pour ne pas empirer notre méconnaissance. En effet, il sera impossible de récupérer les données non mesurées si les observations sont interrompues, comme le rappelle Julie Deshayes : « Les mesures qui n’ont pas été prises dans le passé sont perdues. Aujourd’hui, la seule solution est d’améliorer notre confiance dans les modèles et d’en tirer le plus d’informations possible », conclut-elle.

Pour aller plus loin

Rédigé par Marion Barbé.

Julie Deshayes


Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN-IPSL)