Politiques publiques et transition
Aux grands objectifs, quels grands moyens ?
Le défi climatique demande une transformation profonde de nos sociétés. Si l’État dispose d’un outillage économique varié et puissant permettant d’atteindre ses objectifs, est-il possible de déployer des politiques d’urgence climatique sans renforcer les inégalités sociales ?
En avril 2021, la commission européenne a rehaussé ses ambitions en matière de réduction d’émissions de gaz à effets de serre. Là où l’objectif visait à les réduire de 40% à l’horizon 2030, celui-ci est passé à 55%. « C’était déjà un objectif difficile à atteindre », commente Quentin Perrier, responsable des études au Haut Conseil pour le Climat (HCC). « Maintenant, la vraie question c’est de savoir comment on met en place des politiques publiques pour y parvenir. » Car pour l’économiste, une transition ne peut être efficace si l’État n’en n’est pas le moteur : « S’il ne met pas en place des incitations, des normes et des régulations, il n’y a pas de raison que les pratiques changent. Atteindre les objectifs ne passera que par une transformation profonde systémique majeure. »
Et pour se faire, l’État dispose d’un grand nombre d’outils dont les impacts sur la société peuvent être très divers. « Il y a plusieurs leviers : la fiscalité dont on a beaucoup parlé, mais aussi les investissements publics, les taxes, les normes et l’information des consommateurs », énonce Quentin Perrier. Ces outils sont souvent mis en œuvre de manière complémentaire pour répondre à un objectif. Par exemple, les normes ont le pouvoir d’imposer aux véhicules mis sur le marché d’être plus efficaces et d’interdire ceux dont la consommation en énergie fossile est trop importante. Couplées au bonus-malus et aux investissements publics vers les alternatives à la voiture individuelle, ces nouvelles normes permettent d’inciter les citoyens à changer leur mode de déplacement. Cette dynamique est également encouragée par un horizon législatif imposé par la commission européenne qui mettra un terme à la vente de véhicules thermiques d’ici 2035.
Le juste équilibre
Un autre levier fiscal fort attire régulièrement des regards critiques : la taxe. Appliquant le principe du pollueur-payeur, la taxe carbone apparaît aux yeux de beaucoup d’économistes comme un moyen efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour Quentin Perrier, si celle-ci possède des avantages, il estime que « ça ne peut pas être le seul outil. C’est un levier puissant mais qui peut créer des inégalités. Par exemple, un particulier qui a besoin de sa voiture pour aller travailler est soumis à la taxe carbone alors que ce n’est pas le cas d’un billet d’avion. » De fait, le prix du carbone en France n’est pas le même en fonction des secteurs, ce qui génère parfois un fort sentiment d’injustice pour les citoyens les plus précaires.
« La transition ne pourra fonctionner que si tout le monde a les mêmes règles », affirme l’économiste. « La crise des gilets jaunes a été un véritable électrochoc sur ce sujet. Depuis, il est impossible de penser les politiques publiques sans parler de redistribution et de justice sociale. » Si plusieurs modes de redistribution sont évoqués pour réduire ces écarts, ils ne les suppriment pas complètement : la diversité des situations est difficile à appréhender et donc à compenser financièrement. Plus largement, l’efficacité d’une politique publique tient à l’équilibre qu’elle impose entre mesures incitatives et restrictives, et leur diversité permet une répartition juste des efforts demandés aux citoyens. « C’est un équilibre difficile à trouver, qui est de l’ordre du choix politique », conclut Quentin Perrier.
Par Marion Barbé pour l’IPSL