CISTOX : étudier la pollution au travers d’une espèce sentinelle
En France, qualité de l’eau et pesticides sont des problématiques majeures, constituant des sujets de recherche essentiels. Dans les zones dites, humides, le déclin de la biodiversité y est fortement observé. Pour les scientifiques, la pollution et plus particulièrement, la pollution agricole, est une des causes de ce déclin. C’est dans ce contexte que le projet CISTOX, étudiant l’effet de l’exposition aux pesticides chez les cistudes d’Europe, a démarré. Leslie-Anne Merleau, en deuxième année de doctorat au Laboratoire Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les Hydrosystèmes et les Sols (METIS-IPSL), est impliquée dans ce projet dans le cadre de sa thèse.
Une espèce intéressante
Petite espèce de tortue, native de nos régions françaises, la cistude d’Europe constitue donc un très bon modèle pour cette étude. Ces animaux, très locaux et ayant des aires de vie restreintes, à l’inverse des oiseaux par exemple, permettent aux chercheurs de rendre compte assez précisément de l’activité de leur milieu. On parle alors d’une espèce sentinelle. Leur régime alimentaire, qualifié d’opportuniste, multiplie les sources possibles de contamination. Enfin, ces animaux sont ce que l’on appelle des animaux ectothermes, ce qui veut dire qu’ils ne produisent pas leur propre chaleur.. Ils présentent un métabolisme différent des animaux qui ont une régulation interne de leur température dits homéothermes. Les contaminants agricoles pourraient donc métaboliser de façon différente chez la tortue. « De manière générale, les reptiles sont assez peu étudiés sur ces questions, les scientifiques ont donc très peu d’informations sur le devenir des polluants au sein de leur organisme et leurs effets potentiels, d’où l’intérêt de les étudier » précise Leslie-Anne.
Un projet en deux temps
Faisant suite à un premier projet, CISTOX se déroule sur trois ans. Le but de celui-ci est donc de déterminer quels sont les effets de l’exposition aux pesticides sur les cistudes d’Europe, dont le nombre d’individus diminue fortement. Les populations de cistudes en France se trouvant principalement à proximité de régions agricoles, en Camargue, en Nouvelle-Aquitaine ou encore dans la région de Bordeaux, le choix avait été fait de se focaliser dans un premier temps sur la Camargue, à la Tour du Valat, où un vaste projet de capture-marquage-recapture pour le suivi de la population de Cistude existe depuis 1997. Pour CISTOX, les scientifiques ont souhaité étendre la zone d’étude, en intégrant les deux autres régions concernées.
Pour chaque zone d’étude, des populations de tortues exposées aux pesticides et des populations que l’on estime « protégées » de ce risque, sont étudiées, afin d’établir un comparatif. Les scientifiques effectuent des prélèvements sanguins chez les cistudes. En complément, dans le cadre du projet CISTOX, des prélèvements d’eau, de sédiments et de proies sont réalisés, permettant d’étudier les voies d’exposition aux pesticides chez les tortues. Des préleveurs passifs d’eau sont également posés sur la durée d’échantillonnage, assurant un suivi des événements survenant dans l’eau, aux moments des présences sur le site des chercheurs.
Pour répondre à l’objectif du projet, les scientifiques étudient différents marqueurs physiologiques, connus pour réagir au contact de la pollution chez d’autres espèces. Ils s’intéressent notamment au phénomène du stress oxydatif, survenant lors d’une situation stressante, telle que la présence de polluants dans le milieu de vie de l’animal. D’autres analyses ont également pratiquées pour déterminer si ces polluants agricoles ont un effet sur certains organes, comme le foie ou les reins. Ils réalisent des frottis sanguins, permettant à la fois d’étudier les taux de cellules sanguines et la présence et la quantité de parasites. Les cistudes sont également mesurées, pesées et prises en photos, pour déterminer des indices morphométriques et de coloration.
Les chercheurs souhaitent donc aller le plus loin possible dans cette étude, ne pas simplement définir si les individus sont contaminés ou non, mais dresser un état des lieux complet de la tortue. « Doser la présence de contaminants ne suffit pas pour affirmer qu’il y a des conséquences pour la tortue », explique Leslie-Anne, « inversement le fait de ne pas détecter de pesticides dans l’organisme au moment du prélèvement ne signifie pas que les individus n’y ont jamais été exposés et qu’il n’y a jamais eu d’effets sur leur organisme ».
Une dimension comportementale a également été intégrée au projet initial. Certains contaminants ayant des effets neurotoxiques, les scientifiques ont fait l’hypothèse que ceux-ci pourraient influencer la faculté des tortues à se remettre en position ventrale. En effet, dans leur milieu naturel, ces animaux sont amenés à se retrouver sur leur carapace, représentant une situation de stress. Il est alors nécessaire pour la tortue de se retourner rapidement, risquant l’épuisement et dans certains cas, la mort. Les chercheurs ont réalisé des tests consistant à placer les tortues sur la carapace, dans un temps limité à trente secondes. Plusieurs paramètres étaient observés, le temps nécessaire à la tortue pour prendre conscience de la situation, le temps passé sur la première tentative, le nombre de tentatives nécessaires pour se retourner, et enfin, la réussite ou non de l’action. Ces données sont encore en cours d’analyse.
Au total, 15 populations de Cistudes ont été échantillonnées dans trois régions de France. Les analyses des taux de contaminants dans les différentes matrices (sang, eau, sédiments, proies) et les analyses des marqueurs biologiques sont en cours et nécessiteront encore plusieurs mois de travail.
Pour en savoir plus
Site internet de la Tour du Valat
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