Le poids de la phrase


Robert Vautard est coordinateur du chapitre 12 du groupe 1 sur l’information climatique régionale et l’évaluation des risques liés au changement climatique.

Portrait de Robert Vautard par Valérie Lilette pour l'IPSL, 2023

Portrait de Robert Vautard par Valérie Lilette pour l’IPSL, 2023

 

J’étais dans le train quand j’ai su qu’on me proposait le rôle de coordinateur : c’est sûr que le départ n’a pas le même goût que l’arrivée. J’étais ému, à la fois une fierté de pouvoir participer à cela mais aussi un grand vertige. Est-ce que j’en suis capable ? Mais quand on te propose ça, il faut y aller. Heureusement nous étions trois coordinateurs, ce n’est pas possible de le faire seul. Au début, nous nous sommes retrouvés devant une page blanche. La conception du chapitre était le plus agréable, de voir comment nous voulions organiser et structurer le contenu. Nous voulions que ce soit utile, que chaque décideur puisse regarder une carte et comprendre ce à quoi s’attendre pour le futur. Nous avons eu des grands moments de bonheur mais aussi des grands moments de détresse, en grande partie dus à la crise sanitaire. C’était très difficile lorsqu’on n’arrivait pas à s’entendre, et entre auteurs du GIEC, nous sommes obligés d’être tous d’accord. C’est la règle numéro 1 : si quelqu’un n’est pas d’accord avec ce qui est écrit, on ne l’écrit pas. Il faut un consensus. C’est aussi très engageant en matière de temps. On l’anticipe, on prévient nos collègues et tous ceux avec qui j’ai travaillé ont été compréhensifs. Le GIEC demande parfois d’être complètement focalisé dessus, mais ce sont des pics intenses, quand les deadlines approchent. Et bien sûr, ça impacte énormément la vie personnelle. Mes enfants étaient déjà grands, mais ce ne sont pas les seuls dans ma famille, il faut faire attention à préserver ces moments.

Et il y a des chocs culturels. La notion d’équipe et de travail en commun n’est pas la même dans tous les pays et cela demande une approche différente d’un point de vue management. Nous avons eu des séminaires pour cela, entraîner tout le monde dans une vision commune et ne pas rentrer dans un mode de pensée habituel, aider à s’exprimer pour que ce soit vraiment la science qui ressorte. Malgré tout, dans les moments de tension, on peut facilement revenir à certaines habitudes. L’inclusivité et la diplomatie, ce n’est pas inné. Mais le GIEC crée aussi beaucoup de complicité entre auteurs, des amitiés, des nouveaux collègues, de nouveaux projets qui se continuent. Quand on arrive finalement à se mettre d’accord, c’est très positif. L’approbation du rapport est très agréable : d’avoir produit un texte universel, incontestable, c’est un sentiment très fort. Cela suppose que chaque phrase, chaque mot soit appuyé par des publications, justifiable, et il faut lire et vérifier tous les articles pour que ce soit solide. Il n’y a rien d’aussi universel et abouti que ça, c’est unique. C’est le poids de la phrase, une fois écrite et adoptée, elle est gravée, « set in stone ».

Curieusement, ce que j’ai trouvé le plus difficile a été le résumé pour décideurs. Le texte lui-même demande beaucoup d’efforts, mais pour le résumé tout est remis en cause, retravaillé, remalaxé, critiqué. C’est extrêmement fatiguant, avec cette impression qu’il ne reste plus rien de ce qu’on a fait. Un exercice de contestation permanente assez frustrant. Finalement, entre auteurs, nous sommes toujours d’accord sur le fond scientifique. Mais le résumé pour décideurs s’apparente plus à de la communication. Et là, chacun arrive avec sa façon de voir et les choses que l’on veut faire ressortir ne sont pas forcément les mêmes. Mais toute cette acquisition de connaissances ce n’est pas pour la garder pour soi, c’est vraiment pour la transmettre. Cette expérience était extraordinaire, c’est bien aussi qu’elle s’arrête. Au travers du GIEC on s’aperçoit que les travaux qu’on mène sont un petit caillou dans un grand assemblage. C’est une grande leçon d’humilité. La recherche restera essentielle pour moi, c’est ancré dans ma vie, et après le GIEC on comprend mieux les espaces où il n’y a pas, ou peu, de résultats. C’est là où il faut aller. Nous avons construit une communauté autour de l’attribution des événements extrêmes au changement climatique et l’on réfléchit à comment cela peut contribuer aux enjeux sur les dommages et préjudices. Comment la science peut apporter des éléments factuels sur cette question de responsabilité. C’est un chantier extrêmement intéressant et c’est par-là que je veux me diriger.

 

Portraits réalisés par Valérie Lilette et propos recueillis par Tiphaine Claveau.

Tiphaine Claveau


IPSL