Les modèles, machines à voyager dans l’espace-temps


Dans l’histoire de l’étude des événements extrêmes comme dans celle du climat, un outil s’est rapidement révélé indispensable. Capables de synthétiser une réplique virtuelle de notre planète, les modèles permettent aux chercheurs d’observer le comportement de ses différents composants en se passant (presque) d’instruments de mesure.

Illustration d'un modèle de l'océan

Illustration d’un exemple de modèle de l’océan : à gauche pour représenter l’océan global dans les projections du climat futur (1 carré représente 10×10 points du modèle), à droite pour étudier la circulation sous la calotte Antarctique dans la Mer de Weddell (la calotte est représentée en gris, 1 carré symbolise 1 point du modèle). Dans les deux figures, l’océan ouvert est en blanc et la terre en noir.

 

Mettre la Terre en bouteille, pouvoir en explorer les états passé et futur, s’y déplacer sans limites et jouer avec les multiples variables de son système climatique : au cours de l’histoire, ce rêve de climatologue s’est rapidement transformé en besoin essentiel à l’étude des climats terrestres. Si la bouteille laisse place au contenant plus sophistiqué qu’est l’ordinateur, la réplique, numérique, prend les traits des modèles de climat. Ces outils puissants permettent aux chercheurs de combler des lacunes au-delà de ce qu’autorisent les observations « Il est parfois possible de vérifier directement l’existence d’un phénomène, mais dans le cas des climats passé et futur, les données n’existent plus, ou pas encore » explique Julie Deshayes, océanographe chargée de recherche au laboratoire LOCEAN de l’IPSL.

Dans certains cas, la difficulté liée à la collecte des données fait des modèles la seule manière d’étudier un phénomène. Julie Deshayes travaille sur les courants profonds et leur influence sur le climat. Pour ses travaux, l’utilisation de modèles est essentielle : « Les courants que j’étudie sont très intenses mais difficiles à observer et, de fait, l’étude de leur évolution sur des temps longs repose beaucoup sur l’utilisation d’outils numériques », ajoute-t-elle. « La récolte de données par satellite permet d’obtenir une énorme quantité de points en continu, mais ça ne donne des informations que sur la surface des océans. »

Des équations aux données

Contrairement à ceux utilisés dans d’autres domaines, les modèles de climat ne partent pas de données existantes, mais d’équations qu’il faut résoudre. Ces équations sont celles qui régissent la physique des fluides, depuis l’eau qui s’écoule d’une carafe jusqu’aux mouvements des gaz dans l’atmosphère. « L’ennui de ces équations, c’est qu’elles sont très complexes et nécessitent de grosses hypothèses simplificatrices pour pouvoir être résolues par un ordinateur » précise Julie Deshayes. Vérifier que ces simplifications n’affectent pas la fiabilité du modèle est alors essentiel, et c’est à ce stade que les données entrent en jeu : « Une fois que les équations sont résolues, on peut comparer leurs résultats avec les observations directes, s’il y en a. »

Si le modèle est trop loin de la réalité ─ ou, en l’absence de données, des résultats d’autres modèles ─ les hypothèses de simplifications sont modifiées jusqu’à ce qu’il soit jugé suffisamment fiable. Mais, à force d’améliorations, est-il possible d’obtenir une représentation si précise du système que l’on puisse anticiper et comprendre chaque mouvement interne, passé et futur ? Pour Julie Deshayes, il n’y a pas d’ambiguïté : « le système climatique a une part d’imprévisibilité qu’il est impossible de reproduire virtuellement. En fonction du sujet, le modélisateur s’autorise une marge d’acceptabilité : c’est là toute son expertise. Il n’y a pas un modèle qui soit bon pour tout, il y a des modèles pour répondre à des questions scientifiques. » Loin d’un outil immuable et universel, la modélisation est une science à part entière, qui donne aux chercheurs le pouvoir de mettre chaque monde dans une bouteille unique.

 

Par Marion Barbé pour l’IPSL

 

Pour en savoir plus

Retrouvez l’ensemble du projet Mozaïka : Vous avez dit extrême ?

Julie Deshayes


LOCEAN-IPSL