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Rapports du GIEC : opération décryptage

Par Philippe Bousquet, professeur à l'UVSQ et chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL), membre de l’Institut Universitaire de France et auteur contributif d’un chapitre des deux derniers rapports du GIEC.


Un article paru sur le site du Monde relayait en octobre 2015 une étude réalisée par équipe de chercheurs européens, parue dans la revue scientifique Nature Climate Change. L’étude interpellait les climatologues sur le manque de lisibilité des rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat ( GIEC ). Les résumés pour décideurs étaient tout particulièrement visés : synthèses jugées de plus en plus « opaques », nécessité d’avoir « l’équivalent d’un doctorat en science du climat pour commencer à saisir pleinement le sens des rapports », possibilité « d’interpréter différemment des résultats scientifiques » et donc de prêter le flanc au climatoscepticisme.


Alors même que ces résumés se voulaient initialement lisibles et compréhensibles par nos politiques et la société civile – dont le niveau moyen en science correspond à peu près à la fin du collège –, comment en est-on arrivé à ces critiques et sont-elles vraiment fondées ?


Des pages par milliers, des figures, des tableaux…

Depuis les années 1990, le GIEC publie tous les cinq ans environ un point sur l’état des connaissances relatives au changement climatique et à ses conséquences. À partir des travaux scientifiques déjà publiés, un groupe d’auteurs renouvelés à chaque fois coordonne l’écriture de rapports de synthèse, organisés en chapitres thématiques. Des dizaines de scientifiques contribuent à l’écriture des différents chapitres qui sont évalués par des centaines de relecteurs dont tous les commentaires, critiques, et suggestions doivent faire l’objet d’une réponse de la part des auteurs. On parle là de milliers de commentaires sur chaque chapitre qui, in fine, font une centaine de page chacun.


C’est un processus qui prend plus de deux années pour aboutir aux rapports finaux. En pratique, et ce depuis 1990, trois groupes travaillent en parallèle (avec des interactions) et traitent de trois aspects du changement climatique : les bases physiques (groupe un) ; les impacts, l’adaptation, et la vulnérabilité (groupe deux) ; l’atténuation du changement climatique (groupe trois). Chaque rapport fait plus de mille pages et est illustré de nombreuses figures et tableaux.


Les rapports de la cinquième fournée du GIEC parue en 2013 furent trois à quatre fois plus longs que ceux de la première fournée de 1990. Cette inflation traduit notamment l’augmentation des connaissances à rapporter et la volonté d’étayer les rapports de figures, de tableaux et d’encarts spécifiques détaillant certains résultats ou phénomènes importants.


Résumer pour la prise de décision politique

Il est clair depuis le démarrage du GIEC que ces rapports servent de base scientifique pour (d’éventuelles) décisions du monde politique. Pour cela, la nécessité de produire une synthèse plus courte de chaque rapport est apparue immédiatement. Ainsi, dès 1990, on trouvait un résumé pour décideurs d’une vingtaine de pages au début des trois rapports. Je me suis replongé, avec un brin de nostalgie, dans le résumé pour décideurs du rapport de 1990, qui a accompagné mes études supérieures. La rédaction est relativement légère sous forme de questions scientifiques avec peu de chiffres, des explications pour chaque phénomène, une vision assez qualitative des incertitudes, et des figures et des tableaux très simples, voire basiques.


Le premier rapport du GIEC, 1990.

Le premier rapport du GIEC, en 1990. IPCC


C’est une histoire qui se lit assez bien et qui montre qu’on avait surtout, à cette époque, des questions. Ce texte ferait toujours un début très honorable pour un cours de première année de licence consacré au climat. Vingt cinq ans plus tard, les résumés pour décideurs apportent beaucoup de réponses aux recommandations qu’on se faisait alors : mieux comprendre les processus à l’œuvre (nuages, océans, cycle du carbone), obtenir plus d’observations du système Terre passé et présent, développer et améliorer les modèles de climat, augmenter les ressources pour les recherches climatiques, et faciliter les échanges de données climatiques.


Toutes ces recommandations ont été mises en œuvre et ont permis de faire progresser la quantité et la finesse des analyses des climats passés et présents et des projections du climat futur. Toutes ces questions ne sont, bien sûr, pas résolues (à l’image de la quantification du rôle des nuages et des aérosols) et demandent encore un effort de recherche fondamentale. Au final, la masse de résultats des années 2010 est beaucoup plus abondante et quantitative que celle des années 1990.


Des pressions de toutes sortes

Cet embonpoint (mais avec du muscle !) s’est accompagné d’une augmentation de la pression sociétale, qui prend conscience très progressivement des changements climatiques et des risques qu’ils font porter sur les générations futures. Cette pression augmentera encore d’un cran si des normes contraignantes sont mises en place dans les années à venir. Cet intérêt souvent passionné, parfois intéressé, ou même défaitiste, quant à notre capacité collective à faire bouger les lignes socio-économiques, a été aussi « agrémenté », il faut le dire, par les attaques régulières de climatosceptiques, maux (surtout mâles d’ailleurs, je ne connais pas de femme climatosceptique) issus essentiellement des pays développés, dont la France.


L’ensemble de cette pression de la société, qu’elle soit bienveillante ou pleine d’arrières pensées, a obligé le GIEC, et plus largement la communauté scientifique, à être encore plus rigoureux dans ses rendus et ses méthodes, et à tenter de mieux les communiquer. Malheureusement, il n’est pas facile de concilier ces deux objectifs.


Être encore plus rigoureux dans le contexte de la masse des résultats existants a conduit à plus de chiffres dans les résumés pour décideurs, avec de surcroît la mise en place d’une restitution coordonnée de leurs incertitudes. Ainsi, en 2010, le GIEC a publié un document très important et pourtant bien moins médiatisé que les résumés pour décideurs : un guide méthodologique pour une restitution cohérente des incertitudes. On y trouve l’origine et le sens de tous les qualificatifs présents dans les résumés pour décideurs comme « very likely », « unlikely » ou encore mon préféré : « about as likely as not », si cher aux Normands.


Mieux communiquer passe souvent par plus de simplifications dans les rendus. Il faut trouver et capter l’attention d’un public (ici, la société et les décideurs) qui aime rarement les catalogues de chiffres et d’incertitudes. Peu de gens aiment cela à vrai dire. C’est souvent pris comme un motif pour ne rien faire ou carrément mis de côté, car jugé contre-productif à faire passer les messages importants. C’est pourtant l’expression nécessaire des doutes et des hypothèses inhérents à tout travail scientifique.


Valérie Masson-Delmotte, climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, explique le « résumé pour décideurs ». Cliquer sur l'image pour démarrer la vidéo.


Les vidéos à la rescousse

Alors oui, les résumés pour décideurs des cinq rapports du GIEC contiennent de nombreux chiffres, intervalles, et niveaux d’incertitudes qui peuvent être vu comme une plus grande rigueur dans le rendu des travaux, mais aussi comme alourdissant fortement la lecture du document et donc comme étant moins efficace en termes de communication. Comment sortir de cette antinomie ? Par L’infographie, par exemple ?


Quand on compare les figures du premier rapport du GIEC à celles du cinquième, on mesure l’étendue des progrès techniques en informatique graphique opérés en 25 ans. Le travers qui apparaît également est la volonté d’utiliser ces moyens techniques pour synthétiser trois ou quatre figures du rapport complet en une seule avec plein des panneaux, flèches, barres, couleurs… la rendant ainsi très complexe à interpréter. La quintessence synthétique des figures des résumés de 2013 est parfois, il est vrai, aussi difficile à avaler que ces biscuits savoyards qu’on emporte avec soi quand on marche en montagne. Il faut un peu de liquide pour les faire passer… C’est à quoi je me suis employé avec quelques collègues en recourant à des vidéos pour expliquer chaque figure du résumé pour décideurs de 2014.


Un dernier élément pondérant le manque de lisibilité des résumés pour décideurs est qu’il n’y a pas que les scientifiques qui ont « grandi » à mesure que leur thématique s’enrichissait, se raffinait, et du coup se complexifiait. Comme l’indique Valérie Masson Delmotte dans l’article du Monde évoqué au début de cet article, les décideurs politiques, leurs conseillers scientifiques et les journalistes spécialisés, ont aussi grandi en parallèle et sont aujourd’hui en mesure d’absorber plus de densité et de complexité.


Cela n’est probablement pas le cas de tous, mais c’est alors aussi notre rôle de scientifiques de participer à l’accroissement du niveau moyen de connaissances de la société sur le changement climatique, notamment quand il s’agit de former des relais sociétaux comme les décideurs politiques, les journalistes et les enseignants.


Article paru dans The Conversation le 13 mars 2018.

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