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Changement climatique : comment expliquer la forte hausse des concentrations de méthane dans l’atmosphère ?


Par Philippe Bousquet, Professeur à l'UVSQ et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL), membre de l’Institut de France, auteur contributif d’un chapitre des deux derniers rapports du GIEC, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay


L’élevage et le traitement des déchets contribuent aux émissions de méthane dans l’atmosphère.


Depuis plus de vingt ans, les concentrations de méthane dans l’atmosphère ont connu une progression annuelle sans précédent. Les causes de cette augmentation sont encore incertaines, mais probablement d’origine « biogénique », c’est-à-dire liées à l’évolution de l’activité de micro-organismes vivants. C’est ce qui ressort du récent bilan proposé par le Global Carbon Project .


Si le méthane contribue moins que le CO2 au changement climatique – ce dernier étant responsable à lui seul de 80 % du réchauffement constaté –, il s’agit néanmoins d’un puissant gaz à effet de serre ; son augmentation est donc inquiétante dans le contexte de la mise en place de l’Accord de Paris qui tente de contenir la hausse globale des températures.


Une hausse sans précédent

Depuis 2014, les concentrations de méthane atmosphérique suivent le rythme du scénario climatique le plus pessimiste des experts du GIEC. Cette croissance accélérée par rapport à la période 2007-2013 contraste avec la relative stagnation ces trois dernières années des émissions de CO2 liées aux activités humaines ; elle accentue ainsi le poids relatif du méthane dans le changement climatique en cours.


C’est d’autant plus remarquable que cette récente augmentation vient s’ajouter à celle accumulée depuis la révolution industrielle : la concentration de méthane dans l’atmosphère est actuellement 2,5 fois celle de 1750, avec 1 835 ppb (pour parties par milliards) en 2015.


Deux articles publiés récemment ( et ) proposent la synthèse la plus complète à ce jour au sujet des sources et puits de méthane. Ce travail vient renforcer le bilan mondial de CO2, publié chaque année à l’initiative le Global Carbon Project.


D’où vient le méthane atmosphérique ?

Faire le bilan des sources et puits de méthane est ardu : le méthane est moins bien compris que le CO2 et ses sources couvrent une gamme d’activités humaines plus large. On peut néanmoins classer ces sources en trois catégories.


Il y a d’abord les sources « biogéniques » (environ 65 %) : celles-ci concernent l’élevage, la culture du riz, la gestion des déchets solides ou liquides, les zones inondées naturelles, les termites, les lacs et fleuves, les pergelisols . Elles sont liées à la dégradation de la matière organique par des micro-organismes dans des environnements dépourvus d’oxygène.


Viennent ensuite les sources « thermogéniques » (environ 30 %) : elles concernent le dégazage naturel de la croûte terrestre et l’exploitation des combustibles fossiles ; elles sont liées à la formation lente de gaz naturel dans le sous-sol de la Terre. Enfin, on trouve les sources « pyrogéniques » (environ 5 %) : elles concernent les feux de forêts et de savanes et l’utilisation de biofuels ; elles sont liées au processus de combustion de biomasse.


Il faut noter que ces trois types de sources peuvent être naturelles ou liées aux activités humaines, ces dernières représentant plus de 60 % des émissions totales de méthane atmosphérique.


Les multiples sources d’émissions de méthane.


Comment expliquer la hausse des émissions ?

Les raisons de cette augmentation du méthane dans l’atmosphère depuis la fin des années 2000 sont toujours discutées et il n’existe pas à ce jour de consensus autour d’un scénario unique pour en rendre compte. Il est néanmoins possible d’avancer plusieurs éléments d’explication.


Il est ainsi probable que la contribution dominante à l’anomalie positive des émissions vienne des sources biogéniques. C’est ce que suggère l’analyse du carbone 13 du méthane dont la concentration diminue dans l’atmosphère depuis 2007. En effet, les sources biogéniques apprécient peu le carbone 13 dans leurs processus biochimiques et en produisent moins que les autres sources. Une augmentation des sources biogéniques est donc associée à une diminution du carbone 13 du méthane atmosphérique.


On ne peut exclure non plus une augmentation des émissions liées aux combustibles fossiles, comme le suggère l’augmentation de la concentration d’éthane, une espèce co-émise avec le méthane dans le secteur industriel. Mais le bilan du Global Carbon Project ne montre cependant pas d’augmentation des émissions de méthane aux États-Unis alors que ces derniers ont fortement développé le « fracking » dans l’exploitation du gaz de schiste.


Il faut également souligner que les émissions chinoises de méthane et leur augmentation depuis l’an 2000 ont été probablement surestimées par les inventaires d’émissions (qui estiment les émissions à partir de statistiques économiques) à cause d’une surestimation des émissions liées à l’exploitation du charbon et de leur variation dans le temps. L’étude relatée ici a poussé les inventoristes à revoir les facteurs entrant dans le calcul des émissions de méthane chinoises.


Du fait de la persistance de cette augmentation sur les huit dernières années, il est probable qu’elle soit due à une source biogénique liées aux activités humaines (élevage ou déchets), plutôt qu’à une source biogénique naturelle, telle que les zones humides. Mais des conditions humides ont persisté dans les tropiques depuis 2007, associée à des phénomènes la Niña récurrents , pouvant créer des conditions favorables aux émissions de méthane. On ne peut ainsi pas exclure que les zones humides participent à l’augmentation des émissions de méthane dans les tropiques.


On le voit, il reste encore beaucoup d’incertitudes à lever.


On peut agir rapidement

Sans actions spécifiques, les émissions biogéniques de méthane ont de fortes chances de poursuivre leur hausse, compte tenu du changement climatique en cours et de la pression démographique. On pense ici aux émissions liées à l’élevage et les déchets dans un monde où la demande alimentaire croît avec la population mondiale, et où le régime carné fait de plus en plus d’adeptes parmi les classes moyennes émergentes, générant également de plus en plus de déchets.


Il y a aussi les zones humides des hautes latitudes dont les émissions pourraient augmenter avec le dégel lent mais inexorable avec le réchauffement d’une quantité croissante de permafrost.


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S’il faut souligner les dangers du méthane, n’oublions cependant pas que sa courte durée de vie dans l’atmosphère (9 ans environ) combinée à son fort potentiel de réchauffement, nous offre une formidable opportunité d’atténuation du changement climatique. En effet, si nous réduisons les émissions de méthane maintenant, cela aura un impact rapide sur leur concentration dans l’atmosphère… y compris à des échéances compatibles avec les agendas politiques.


Aujourd’hui, des modes de production alimentaire qui prennent en compte les changements climatiques sont étudiés et testés dans de nombreux pays producteurs ; d’autre part, la récupération de biogaz à partir des activités agricoles et de la gestion des déchets, actuellement mise en œuvre dans les pays développés, pourrait être étendue à d’autres zones moins favorisées et contribuer à l’atténuation du changement climatique.


Outre le fait que ces solutions impactent moins directement nos modes de vie que celles destinées à réguler nos usages de la voiture ou du chauffage pour réduire les émissions de CO2, ces innovations peuvent également générer de l’activité économique et créer des emplois.


Aujourd’hui, pour rester dans la limite des 2 °C d’augmentation de la température moyenne planétaire, il n’est plus question de choisir entre CO2 et méthane : il faut agir sur le CO2 et sur le méthane.



Article paru dans The Conversation le 8 janvier 2017

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