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Ciel jaune et soleil rouge : l’ouragan Ophélia décrypté

Par Cathy Clerbaux, directrice de recherche CNRS au  laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS-IPSL, CNRS/UPMC/UVSQ).


L’ouragan Ophélia qui a frappé les îles britanniques à la mi-octobre 2017 a transporté dans son sillage une série de phénomènes inhabituels, qui ont affecté la qualité de l’air dans plusieurs pays d’Europe.


Le lundi 16 octobre, les habitants du sud de l’Angleterre et de la Bretagne ont passé la journée sous un ciel couleur sépia-orangé ; les nombreuses photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont montré une ambiance digne de celle du film de science-fiction Interstellar, dans lequel la mauvaise gestion des terres cultivables rend l’atmosphère pleine de poussières. Plusieurs compagnies aériennes ont rapporté que leurs vols ont été déroutés ou qu’elles ont dû faire atterrir leurs avions après avoir senti une étrange odeur de brûlé envahir le cockpit .


Le lendemain matin, mardi 17 octobre, ce fut au tour des habitants de la Belgique et des Pays-Bas de noter que le ciel arborait une couleur qu’on voit plus souvent au coucher qu’au lever du soleil. Le soleil était rouge-orangé et chose rare : on pouvait même l’observer à l’œil nu quand il était déjà haut dans le ciel, car il y avait comme un voile opaque empêchant les rayons de briller. Quelques jours plus tard, les habitants d’Estonie ont eu la surprise de voir tomber une pluie noire , chargée de poussières de cendres.


Des phénomènes rares

Tous ces phénomènes sont liés : les vents violents associés à l’ouragan Ophélia ont transporté de grosses quantités de poussières de sable arrachées du Sahara d’une part, et une épaisse fumée provenant des feux très intenses qui ont sévi dans le nord du Portugal et à l’ouest de l’Espagne d’autre part.


Si les transports de sable haut dans l’atmosphère depuis le Sahara sont relativement fréquents sous nos latitudes – et on peut l’observer quand il retombe avec la pluie sur les pare-brise des voitures –, un transport de fumée sur une aussi longue distance est très rare. Avec les moyens actuels dont disposent les scientifiques pour l’étudier, on peut préciser la chronologie des évènements, les kilomètres parcourus, et les conditions qui ont permis son émergence.


Image visible prise par le sondeur MODIS à bord du satellite Terra le 16 octobre 2017, qui montre le cœur de la tempête et le transport de poussières de sable et de fumée.

Image visible prise par le sondeur MODIS à bord du satellite Terra le 16 octobre 2017, qui montre le cœur de la tempête et le transport de poussières de sable et de fumée.


Mais d’abord : pourquoi le ciel ocre et le soleil rouge ?

La couleur du ciel dépend de la présence de molécules, de particules et de gouttelettes dans l’atmosphère, qui sont des obstacles pour le rayonnement du soleil, qui est alors diffusé et atténué. La lumière solaire est composée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel (du violet jusqu’au rouge, pour la partie de son rayonnement en lumière visible).


Le ciel nous apparaît comme bleu car la lumière bleue a la plus courte longueur d’onde et est plus sujette à la diffusion. C’est la raison pour laquelle un ciel très bleu n’est observé qu’en montagne (moins de pollution et moins de vapeur d’eau), et il virera au blanc s’il y a des nuages (diffusion de toutes les couleurs sur les gouttelettes d’eau).


Plus le ciel est chargé en particules fines, plus la diffusion augmente. Les composantes verte et jaune de la lumière sont alors affectées jusqu’à ce que finalement, la seule lumière que nous puissions voir soit le rouge orangé. Donc les plus beaux levers et couchers de soleil sont observés quand le ciel est chargé de particules !


Du Portugal à l’Estonie

À la suite d’un épisode de sécheresse historique, les incendies d’octobre au Portugal et en Galice ont été encore plus virulents que ceux rapportés au début de l’été. Outre le fait que des dizaines de personnes y ont perdu la vie ou ont été blessées, des quantités importantes de territoire ont été réduites en cendres.


À partir des images à haute résolution fournies par les satellites qui permettent de suivre les feux actifs et les surfaces brûlées, il a été établi que ces incendies ont été les plus importants depuis au moins quinze ans. Les vents violents associés à l’ouragan ont décuplé l’intensité des flammes conduisant à des phénomènes comme les tornades de feux.


Des tornades de feu repérées au Portugal.

Cliquer sur l'image pour voir la vidéo.


Mais pour expliquer comment les fumées se sont propagées si vite et si loin, il faut faire intervenir la pyroconvexion. Il s’agit de nuages spécifiques (les pyrocumulonimbus) qui se forment au-dessus des incendies violents, ayant une grande extension verticale et présentant une forme d’enclume, et qui vont injecter des masses d’air chargées de fumée épaisse très rapidement de la surface vers des altitudes entre dix et vingt kilomètres. Ces fumées seront ensuite transportées au gré des vents, loin de leur zone d’émission. Plusieurs pyrocumulonimbus ont été observés par satellite dans les zones de feux en octobre.


Quand la végétation brûle, il s’en dégage des particules (carbone suie) mais aussi une série de gaz, en particulier le monoxyde de carbone (CO) qui résulte de la combustion incomplète, et bien connu comme un tueur domestique silencieux dans le cas des chauffe-eau domestiques mal réglés.


Ce gaz invisible à l’œil nu, inodore et incolore, les satellites infrarouges peuvent le traquer. L’instrument IASI qui vole à bord du satellite Metop a suivi ce phénomène de transport de fumée exceptionnel durant toute sa traversée de l’Europe et des concentrations abondantes de ce polluant ont été mesurées. Après un passage au-dessus du Benelux et un tour jusqu’en Suède, le panache de fumée est passé au-dessus des pays baltes (où la pluie a emporté avec elle vers le sol une partie des cendres) et a terminé sa course aux frontières de l’Asie, parcourant ainsi plus de 8000 kilomètres.


Panaches de monoxyde de carbone observé par l’instrument IASI deux fois par jour à bord du satellite Metop. La couleur rouge indique des concentrations élevées.

Panaches de monoxyde de carbone observé par l’instrument IASI deux fois par jour à bord du satellite Metop. La couleur rouge indique des concentrations élevées.


Sous étroite surveillance

Pour compléter ces mesures par satellite, les scientifiques disposent aussi d’instruments basés au sol qui, en utilisant des techniques lidar , peuvent fournir une estimation de la hauteur du panache et de sa composition. L’instrument basé à Bruxelles a montré que le panache de poussières de sable a survolé la capitale une douzaine d’heures avant celui de la fumée, à une altitude autour de 3 kilomètres .


Enfin, le modèle atmosphérique Copernicus Atmospheric Monitoring Service (CAMS), qui se nourrit de toutes les données disponibles pour établir des cartes des différents polluants au-dessus de l’Europe, a aussi confirmé qu’en Angleterre le panache était composé essentiellement de poussières de sable avec un peu de cendres, tandis que les vents ont préférentiellement poussé les fumées au-dessus de l’Europe.


Pour conclure, l’Europe dispose actuellement d’une série d’observations basées au sol, embarquées à bord d’avions de ligne , et fournies par les satellites, qui, couplées à des simulations numériques, permettent de suivre et de prédire les déplacements des panaches de pollution pour alerter les populations quant à la qualité de l’air que nous respirons.


De tels événements sont rares et, en général, la pollution est locale et essentiellement liée au trafic automobile. Ce n’est en revanche pas le cas pour les pays en voie de développement dans lesquels 40 % des résidus de culture sont brûlés dans les champs, ce qui induit une pollution importante et qui peut affecter les régions environnantes jusqu’à des distances lointaines, sans alertes préalables pour protéger les populations.


Article paru sur le site de The Conversation France, le 20 novembre 2017.


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