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Séminaire

Titre : Le rôle de l'océan dans les mécanismes déclencheurs des événements d’Heinrich
Nom du conférencier : Jorge Alvarez-Solas
Son affiliation :
Laboratoire organisateur : LSCE
Date et heure : 31-01-2013 11h00
Lieu : LSCe - Orme des Merisiers - Gif sur Yvette - Bât. 701, Pte 17C
Résumé :


Durant la dernière époque glaciaire, le système climatique a connu des variations très brusques, durant lesquelles les enregistrements climatiques montrent des variations de température dont l’amplitude peut être aussi importante qu’entre les périodes glaciaires et interglaciaires. Les épisodes de réchauffement abrupt (quelques décennies; événements DO) ont été mis en évidence par Dansgaard et al. (1993) grâce à l'étude des carottes de glace de la calotte groenlandaise. Par ailleurs, les carottes marines de l'Atlantique Nord présentent des dépôts de débris détritiques apportés par des armadas d'icebergs dans tout l'Atlantique Nord (Heinrich, 1988). Ce sont les événements d’Heinrich (HE).


Les événements DO correspondent (d'une façon stricte) à des réchauffements abrupts observés dans les carottes de glace. Néanmoins, la notion de DO s'est étendue à la totalité du cycle climatique associé. Ainsi chaque cycle DO est entendu comme un réchauffement brutal, suivi d'une phase de refroidissement progressif puis d'un retour abrupt à des conditions chaudes. La phase froide (i.e. avant le réchauffement brutal) est connue sous le nom de stadiaire et la phase chaude est dénommée interstadiaire. Ces cycles se traduisent par 24 variations quasi-périodiques (dont la période varie entre ~1500 et ~4500 ans) du climat depuis l'Eemien. Même si l'on suspecte l'existence d'un cycle climatique d'une périodicité d'environ 1500 ans durant l'Holocène, les changements climatiques abrupts associés aux événements de DO ne sont plus présents durant les 10 derniers milliers d'années. Le climat glaciaire est donc plus instable que le climat interglaciaire. Ces passages brusques d'un climat froid (stadiaire) à une courte période chaude (interstadiaire) semblent avoir touché le système climatique dans son ensemble. On les retrouve, atténuées et en opposition de phase, dans les glaces antarctiques. Compte tenu des échelles de temps mises en jeu, il semble que ces événements fassent intervenir la circulation océanique. Cette implication est confirmée par les enregistrements du rapport Pa-Th dans les sédiments marins qui sont interprétés comme des indicateurs de l'activité de la circulation thermohaline. Néanmoins, à l'heure actuelle, nous ne savons toujours pas si cette instabilité océanique constitue le moteur des événements de Dansgaard-Oeschger, ou si au contraire l'océan répond à un forçage externe. Ainsi, même si le rôle primordial de la circulation océanique semble indiscutable, le mécanisme exact qui ferait basculer le système entre les périodes stadiaires et interstadiaires demeure largement débattu.


Les épisodes de dépôts d'IRD (par l'anglais Ice Rafted Debris) qui ont marqué les enregistrements sédimentaires de l'océan Nord-Atlantique glaciaire (connus comme les événements d’Heinrich) sont toujours particulièrement durs à comprendre. Ces événements sont attribués à un relargage massif d'icebergs originaires des calottes polaires de l'hémisphère Nord, mais le mécanisme permettant le développement de ces immenses flottes d'icebergs fait encore l'objet d'une controverse passionnante. Six événements majeurs ont été identifiés et datés : depuis le plus ancien, le H6, jusqu'au dernier, le H1, juste après le dernier maximum glaciaire. Toutefois, une augmentation de la présence de débris glaciaires dans l'Atlantique Nord apparaît tous les 2000 à 3000 ans. Les IRD sont particulièrement importants dans la ceinture de Ruddiman située entre 45 º et 55 º Nord. Ces débris transportés par les icebergs s'accompagnent de conditions froides des eaux de surface. L'analyse de la composition minéralogique des débris glaciaires montre une origine calcaire principalement provenant de l'Est du Canada.


Les tentatives pour expliquer l'origine des événements d’Heinrich opposent deux hypothèses: l'une serait uniquement associée aux propriétés glacio-dynamiques de la Laurentide (faisant intervenir une instabilité interne pilotée par les effets couplés entre la dynamique de la glace et la production de chaleur par la déformation et le glissement de ces couches de glace; théorie "classique", aussi appéllée théorie du "binge-purge"). La seconde serait liée à un forçage océanique via l'interaction entre les platesformes flottantes de glace et lez zones d'écoulement rapide de la calotte posée.


Grâce à sa relative simplicité, la théorie "classique" a été considérée valide pour expliquer les événements d’Heinrich pendant le deux dernières décennies. Néanmoins elle se confronte aujourd’hui à des problèmes très importants qui peuvent être résumés sur deux volets: D'une part la dernière génération de modèles tridimensionnels de glace incluant une meilleure représentation de la physique nécessaire pour traiter les fleuves de glace ne reproduit plus le comportement oscillatoire nécéssaire pour engendrer les purges d'icebergs. D'une autre part, grâce à une meilleur résolution temporelle des nouvelles données océaniques, on a pu constater que l'interprétation de la réponse océanique aux événements de Heinrich dans le cadre du binge-purge doit être mis en cause. En effet, celle-ci entendait la phase froide et l'affaiblissement de la circulation océanique comme une simple réponse aux débâcles d'icebergs lors des HEs. Or, les derniers travaux indiquent que la circulation commence à affaiblir ainsi que le refroidissement en surface commence de l'ordre de 2 kans avant l'arrivée des événements de Heinrich. Ceci rompt avec la causalité classique selon laquelle les événements de Heinrich créent eux mêmes la phase froide qui les accompagne, puisque ceux-ci n'arrivent qu’une fois que la période stadiaire est déjà bien établie et la circulation thermohaline dans l'Atlantique Nord déjà fortement perturbée.


Ce contexte invite à penser à des mécanismes physiques qui pourraient relier le comportement des calottes polaires à la circulation océanique. L'élément principal qui sert d'interface entre l'océan et la calotte posée, ce sont les plateformes flottantes de glace (ice shelf en anglais).


L'instabilité des ice shelves a inspiré ainsi plus récemment une explication différente des événements de Heinrich. Le point clé de cette hypothèse réside sur le fait que seule la partie flottante de la Laurentide est concernée. Ce serait une grande plateforme de glace flottante occupant la mer du Labrador qui pourrait subitement devenir instable suite à un réchauffement atmosphérique et provoquerait un vêlage massif d'icebergs responsables des événements d’Heinrich. La principale difficulté de cette dernière théorie réside sur le fait qu'il reste irréaliste de concevoir un réchauffement atmosphérique suffisamment important pour déstabiliser les plates-formes flottantes de glace lors d'une phase stadiaire. La clé semble résider dans le réchauffement de subsurface qui accompagne le passage en mode stadiaire. La diminution de la convection profonde en mer nordique et du Labrador isole les couches de subsurface (entre 500 et 1200 mètres) qui pourrait se réchauffer jusqu'à 4 degrés. Ceci entraînerait une augmentation de la fonte basale de l'ice shelf qui a pour effet de réduire son épaisseur et éventuellement de favoriser un effondrement de toute la partie flottante. En absence de l'effet d'arc-boutant que l'ice shelf du Labrador exerçait sur la calotte posée, les fleuves de glace peuvent accélérer et génèrent une forte décharge d'icebergs qui
constitue les événements d’Heinrich.


En conclusion, l'idée d'un processus déclencheur des événements de Heinrich associé à la circulation océanique a été suggéré qualitativement, puis simulé à l'aide d'un modèle conceptuel et ensuite à l'aide des modèles plus sophistiqués de différente complexité. Ainsi, selon cette nouvelle interprétation, les processus physiques responsables du déclenchement de la variabilité rapide glaciaire qui se manifestent dans des composantes climatiques différentes (la circulation océanique, pour les DO; et la cryosphère pour les Heinrich) seraient, en réalité, intimement reliés.

Contact :

amaelle.landais@lsce.ipsl.fr