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Yao TE

Yao Te est maître de conférences  à l'Université Pierre et Marie Curie et enseignant-chercheur au Laboratoire de Physique Moléculaire pour l'Atmosphère et l'Astrophysique. Yao Té enseigne en licence, ses recherches portent sur le sondage des constituants minoritaires de l'atmosphère depuis un ballon stratosphérique et depuis le sol. Il a soutenu sa thèse en 2001 et obtenu un poste de maître de conférences en 2003.



Yao Té, comment êtes-vous devenu maître de conférences ?

Après avoir eu mon Bac C, je suis entré en classe préparatoire mais je me suis vite rendu compte que le travail était trop dense et ne me convenait pas. Je suis alors entré à l’ Université Pierre et Marie Curie , où j’ai intégré une seconde année de DEUG . Ensuite, j’avais le choix entre faire une licence de mécanique et suivre un parcours d’ingénieur, ou m’orienter vers la physique et la recherche. J’ai choisi de m’orienter vers la recherche et j’ai décidé en même temps de faire une thèse de physique pour faire de la recherche expérimentale. Après avoir eu ma maîtrise de physique et suivi un DEA optique et photonique à l’Institut d’Optique d’Orsay, j’ai fait mon service militaire. En 1998, j’ai commencé une thèse au LPMA (Laboratoire de Physique Moléculaire et Applications), à l’époque le LPMAA sans sa composante Astrophysique actuelle. L’envie d’enseigner est venue au cours de la seconde année de thèse et j’ai fait du tutorat à raison de 32 heures par an, pendant deux ans.


Yao TE


Au cours de ma thèse, j’ai travaillé sur le développement d’un nouvel instrument ballon capable de mesurer l’émission infrarouge thermique de l’atmosphère par visée au nadir (vers le bas), à une altitude de 35 km environ. J’étudiais différents gaz dans la stratosphère et la troposphère, comme l’ozone et les gaz liés à la pollution ou encore les gaz à effet de serre, qui jouent un rôle important dans les processus physico-chimiques et dans le transfert radiatif dans la troposphère.


En 2001, j’ai soutenu ma thèse intitulée « Spectro-radiométrie par transformée de Fourier sous ballon stratosphérique pour l'étude du système atmosphère/surface/nuages par visée au nadir ». Puis, j’ai eu un poste d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) au LPMA en 2001-2002. En 2003, j’ai été engagé en tant que post-doctorant aux Etats-Unis à l’Université de Wisconsin, au Space Science and Engineering Center , qui était un important laboratoire d’analyses de données satellitaires et de montages d’expériences satellitaires, sur avion ou au sol. J’y suis resté un an et je suis rentré en France pour postuler à l’Université Pierre et Marie Curie sur un poste de maître de conférences au LPMA, en même temps que sur un poste chercheur au CNRS . J’ai obtenu le poste de maître de conférences en premier et j’ai été nommé en septembre 2003. J’ai été assez chanceux car toutes les étapes se sont enchaînées assez facilement dans mon parcours, qui a été assez linéaire. Il me semble qu’en général le parcours est plus difficile pour les jeunes thésards.



En quoi consiste votre travail ?

Lâcher du ballon principal de SWIR-ballon

Je partage mon temps entre mes activités de chercheur et d’enseignement, officiellement c'est 50/50. Mais il arrive qu'on privilégie parfois une activité par rapport à l'autre. Pour ma part, c'est la recherche. Il n'est pas facile de suivre l'avancement des projets ou des développements instrumentaux quand on a un autre service à accomplir. Lorsque le laboratoire était à Ivry-sur-Seine (de février 2004 à février 2011), j'essayais toujours de regrouper toutes mes activités d'enseignement dans la même journée ou demie journée (cours, réunions, …). J'ai enseigné la physique en L1 (mécanique du point, optique, électrocinétique) et en L3 (TP d'optique, physique et chimie de l'atmosphère avec la composante "océan" depuis 2011 avec d'autres collègues du LOCEAN , …). En dehors du temps passé devant les étudiants et en réunions d'enseignement, il y a aussi un travail personnel pour les préparations des cours, TD, TP et sujets de contrôle et d'examen, et les corrections des différents contrôles de connaissances (contrôle en TD, compte-rendu de TP, contrôle en amphi, examen, …).


En tant que chercheur, je travaille sur la continuité de ma thèse, à savoir le sondage passif à distance des constituants minoritaires de l'atmosphère depuis un ballon stratosphérique ( IASI-ballon et SWIR-ballon ) et depuis le sol (STF QualAir ). Je dois rédiger des articles et participer régulièrement à des campagnes de mesures qui me permettent de recueillir de nouvelles données pour contribuer à faire avancer la recherche. Depuis 2007, je suis responsable du spectromètre à transformée de Fourier sur la plateforme QualAir à Jussieu (STF QualAir) qui permet de mesurer la concentration de nombreux constituants minoritaires de l'atmosphère (O3, CO, CO2, CH4, N2O, NO2, etc ....). Ces mesures sont importantes pour l'étude de la pollution atmosphérique, de la qualité de l'air urbain, de l'impact des gaz à effet sur les changements climatiques.



Quelle a été votre première expérience scientifique ?

Ma première expérience scientifique s’est déroulée pendant ma thèse lors du premier vol de l’instrument IASI ballon, en mars 2001. Comme c’était le premier vol, il y avait un risque que le vol ne se déroule pas correctement et que l’instrument soit perdu. Si cela avait été le cas, ma thèse aurait été compromise, d’autant plus que le vol a eu lieu au cours ma troisième année de thèse. J’ai vécu un moment de grande angoisse entre le lâcher du ballon et la récupération de toutes les données. Mais heureusement, le vol s’est très bien passé et ma thèse a pu être terminée à temps.



Certaines personnes vous ont-elles particulièrement inspiré dans le choix de votre métier ?

Ce n’est pas mon milieu familial qui m’a attiré vers la recherche, aucun membre de ma famille n’étant impliqué de près ou de loin dans la recherche scientifique. Par contre, j’avais dans mon entourage des camarades de classe dont les frères faisaient de la recherche. Ensuite, en DEA, certaines personnes m’ont inspiré pour m’orienter plus spécifiquement vers la recherche expérimentale, notamment une professeure qui enseignait la théorie des fibres optiques en laser et qui donnait un cours que je trouvais absolument divin. La visite de son laboratoire n’a d’ailleurs fait que confirmer mon penchant pour l’instrumentation.



Pourquoi votre métier vous plaît-il ?

Aussi bien dans la recherche que dans l’enseignement, je trouve des satisfactions et des motivations très différentes.


Au niveau de la recherche, je préfère l’expérimentation mais, ce qui me plaît par-dessus tout, ce que je trouve le plus intéressant et le plus motivant, c’est de résoudre les problèmes, d’être proche des instruments. Je pense notamment à une expérience IASI ballon en 2007. Les températures en altitude, trop froides, de l’ordre de -80° au passage de la tropopause, ont fait givrer le glycol du circuit de refroidissement. La plupart des instruments (comme les sondes de température) ont arrêté de fonctionner pendant un certain temps car ils étaient prévus pour résister à une température de -35°C environ. On était devant un obstacle et on devait absolument trouver une solution pour analyser différemment les données recueillies, sinon l’expérience s’avérait inutile. On a finalement réussi ( Té et al., doi:10.1016/j.infrared.2009.07.003 ).


En ce qui concerne l’enseignement, c’est tout à fait différent. L’enseignement est pour moi une échappatoire du monde de la recherche, une façon de revenir à la réalité face aux étudiants et de me remettre en question. Le côté altruiste de l’enseignement, qui n’existe pas dans la recherche, est très motivant et différent du monde de la recherche où on travaille pour son compte et où les autres ne sont pas concernés directement. Dans l’enseignement, on est en contact avec un autre monde et, pour faire avancer les étudiants, il faut analyser les problèmes : pourquoi tel cours ou TD n’a-t-il pas été compris ? Pourquoi les résultats ont-ils été mauvais ? Certains étudiants réagissent assez bien et se remettent en cause. Personnellement, rien ne me satisfait plus qu’un étudiant moyen qui réussit à ses examens, car je suis parvenu à le tirer vers le haut. Au contraire, je suis très déçu lorsque certains étudiants qui avaient un bon niveau en début d’année n’y arrivent finalement pas. Je pense être un peu de la « vieille école », assez strict et exigeant. Les étudiants ont fait un choix dans leur orientation et j’attends en retour qu’ils travaillent.



En tant que chercheur, vous participez régulièrement à des campagnes de mesures, vous êtes d'ailleurs impliqué dans la campagne ENRICHED qui s'est terminée en mai. Pouvez-vous expliquer en quelques mots le déroulement d'une campagne et ce qui motive à participer ?

Il y a deux sortes de campagnes : les campagnes de validation d’instruments et les campagnes de mesures, dites « de suivi » pour suivre l'évolution de certains composés atmosphériques. C’est bien sûr le côté scientifique qui est très motivant dans une campagne de mesures : on acquiert des données nouvelles et attendues depuis longtemps qui vont nous permettre d’orienter nos recherches à venir. Les campagnes sont aussi des périodes intéressantes, scientifiquement et humainement, car ce sont des moments privilégiés pour rencontrer des collègues, souvent étrangers, impliqués dans des expériences similaires, les échanges sont donc en général assez riches. Toutefois, il faut savoir gérer une certaine promiscuité sur des durées parfois longues, ce qui n’est pas toujours facile.


Les campagnes auxquelles je participe se déroulent en général de la façon suivante : nous préparons notre instrument sur le terrain, une fois les réglages optiques et les tests de performance terminés, nous l'intégrons dans une nacelle pointée pour que l'équipe "Nacelles Pointées" du CNES (Centre National d’Études Spatiales) puisse faire les tests d'équilibrage et de pointage. Viennent ensuite les tests de TM/TC (télécommande/télémesure) pour finaliser la préparation de notre expérience. Il faut attendre l’aval du météorologue qui vérifie que la trajectoire prévue est correcte. Des informations sur les vents au sol sont également indispensables avant un lancer : le ballon mesure environ trente mètres de hauteur quand il se gonfle (le gonflage dure environ quarante-cinq minutes), il faut qu’il n'y ait peu de vent de surface ainsi que peu de vent en altitude pour que le ballon ne soit pas arraché pendant son gonflage. Il faut compter entre dix à quinze jours pour préparer l’instrument, trois ou quatre jours supplémentaires pour le mettre dans la nacelle, qui sera ensuite conditionnée pour voler (mise en place de l’électronique, équilibrage, pointage, pesée, …). Le CNES teste alors l’intégration télémesure-télécommande par voie hertzienne pour contrôler que les données peuvent être correctement transmises. Donc, au bout de trois semaines de préparation, le vol peut avoir lieu. Il ne durera que quelques heures : après deux heures de montée, il y a trois ou quatre heures de sondage des différentes couches atmosphériques depuis le sol jusqu'à l’instrument IASI-ballon. Dans la configuration en absorption solaire avec l'instrument LPMA (Limb Profile Monitor of the Atmosphere), le vol est plus long, de l’ordre de la douzaine d’heures : le ballon est lancé en fin d’après-midi, le sondage est effectué au coucher, puis au lever du soleil, certaines molécules, comme le dioxyde d’azote (NO2), présentent des concentrations très différentes au lever et au coucher.



Comment gérez-vous vos fonctions d'enseignant (avec des heures de cours obligatoires) et vos fonctions de chercheur, notamment lorsque vous partez à l’étranger pendant plusieurs semaines ?

Je gère cela avec beaucoup de difficultés car les maîtres de conférences ne sont pas déchargés d’enseignement pendant les campagnes de recherche. Je fais alors ce que font tous mes collègues enseignants-chercheurs, j’essaie de m’arranger avec d’autres enseignants-chercheurs. Par exemple, pour la dernière campagne ENRICHED, j’ai sollicité un collègue pour qu’il prenne en charge mes cours, TD et TP pendant trois semaines. Je lui rendrai le service à la prochaine occasion. Les campagnes sont fixées environ une année à l’avance, ce qui permet de préparer les vœux d'enseignement mais, malheureusement, il y a parfois des ajustements de dernières minutes sur les dates de campagne, il n’est donc pas facile de concilier les deux.

Réglage du spectromètre à transformée de Fourier



Qu’aimeriez-vous changer dans votre métier ?

J’aimerais justement bien pouvoir changer le côté rigide des horaires de l’enseignement, mais il ne faut pas rêver ! C’est impossible dans le circuit normal L1-L2-L3, en raison de la très grande quantité d’étudiants à encadrer. Bien que je n’enseigne pas encore en M1-M2, il me semble qu’il serait possible d’aménager les cours différemment et d’en déplacer certains car le nombre d’étudiants est plus restreint.


Je consacre également beaucoup de temps à diverses réunions liées à l’enseignement qui, à mon avis, pourraient être moins nombreuses.



Quel trait de votre personnalité vous aide dans votre vie professionnelle ?

Il faut persévérer, savoir être tenace. Il faut défendre ses idées mais aussi se remettre en question. En tant que chercheur, je veux obtenir des résultats scientifiques et défendre mes idées. En tant qu’enseignant, c’est tout à fait autre chose. Je dois savoir proposer une méthode de travail et savoir la remettre en cause si nécessaire, pour que les étudiants réussissent, parce que leurs résultats en dépendent.



Quel a été votre plus grand défi ou votre plus grand succès ?

En toute modestie, je pense ne pas avoir encore assez d’expérience pour pouvoir faire une liste de mes défis ou succès. Chaque campagne est un défi, c’est un travail minutieux et précis, le succès vient de là aussi.



Si vous aviez un conseil à donner à un jeune qui voudrait faire votre métier, que lui diriez-vous ?

Bon courage ! Tant qu’on ne fait pas sa thèse, on ne se rend pas compte de ce qu’est le monde de la recherche. Il faut faire prendre conscience aux étudiants en M1 et M2 de ce qui les attend dans les métiers de la recherche, leur expliquer les difficultés qu’ils vont rencontrer pour s’y faire une place et trouver un poste. S’ils sont suffisamment motivés, je les pousserai à aller dans cette voie.



Que feriez-vous si vous n'étiez pas maître de conférences ?

Vers 12 ans, j’adorais la mythologie grecque et je voulais être archéologue ! En fait, je ne me suis jamais posé la question du fait de mon parcours assez linéaire. Je ne pense pas que l’enseignement pur m’aurait plu. Je ne saurais peut-être rien faire d’autre que ce que je fais. Je ne me vois pas ailleurs que dans la recherche, et avec de l’enseignement, de toute façon.




Paris, mai 2011

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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