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Rafik HASSEN-KHODJA

Rafik Hassen-Khodja est ingénieur d'études électronicien au LATMOS . Après avoir obtenu son master d'électronique, l'envie de travailler sur des projets concrets en sciences de l'univers, et plus particulièrement en recherche spatiale, l'a mené au LATMOS où il a obtenu un poste en 2011. Rafik Hassen-Khodja travaille notamment sur WISDOM et Micro-ARES, deux instruments qui seront embarqués sur les prochaines missions d'Exomars.



Rafik Hassen-Khodja, dans quelles circonstances êtes-vous devenu électronicien au LATMOS ?

Rafik Hassen-Khodja

Après avoir obtenu mon baccalauréat S en 2002, et bien que très intéressé par l’archéologie et l’étude des civilisations dès le collège, c’est dans un Institut Universitaire de Technologie en génie électrique et informatique industrielle que je me suis inscrit. Je voulais rapidement travailler sur du concret, ce que ne m’offrait pas le cursus universitaire classique. J’avais déjà choisi une option électronique au lycée qui m’avait plu, il me restait à trouver dans quel domaine j’allais exercer. Cela aurait pu être en archéologie puisque des radar GPR (Ground penetrating radar, radar à pénétration de surface) comme ceux sur lesquels je travaille actuellement au LATMOS, sont maintenant utilisés en archéologie. Mais comme je suis aussi assez intéressé par les sciences de l’univers et de la Terre, je trouve mon compte en tant qu’électronicien travaillant dans un laboratoire de recherche qui étudie ces disciplines.


J’ai ensuite fait une licence puis un master d’électronique en alternance en 2007. J’étais apprenti chez Thalès et je travaillais, dans le cadre de projets de télécommunication, sur le développement de modules radio-fréquence dédiés à des applications de transfert de données haut débit sans fil, une alternance à la fibre optique.


Après le master, et jusqu’à 2009, j’ai continué à travailler en tant que prestataire chez différentes sociétés dans le domaine de l’aérospatiale, sur le développement de calculateurs embarqués pour avions et d’émetteurs de télémesure pour Ariane 5, entre autres. En fin de contrat, j’ai postulé au LATMOS à un contrat à durée déterminée d’un an sur un poste d’électronicien pour travailler sur le projet EISS (Electromagnetic Investigation of the Sub Surface). EISS est un radar à pénétration de surface dont le but est de sonder le sous-sol profond de la planète Mars, de plusieurs centaines de mètres jusqu’à 1 km. En 2011, un poste a été ouvert à l’Université de Saint-Quentin en Yvelines pour travailler au LATMOS sur les GPR. J’y étais candidat et me voici !


En quoi consiste votre travail ?

Je suis électronicien en radio-fréquence et j’ai donc été embauché pour travailler sur l’instrument EISS qui devait être soumis aux agences spatiales pour être embarqué sur la mission Exomars en 2016. Exomars fait partie du programme AURORA de l’ESA, c'est la première mission européenne d’étude de la structure du sous-sol de la planète Mars. Après plusieurs péripéties, y compris la décision de la NASA de se retirer du projet pour des raisons financières et l’engagement russe, le projet a pris sa forme définitive. En 2016, un orbiteur et un atterrisseur (EDM, Entry, Descent and Landing Demonstrator Module) seront lancés. L'EDM sera un test sur la capacité européenne à faire atterrir un engin sur Mars. Une charge utile de quelques kilogrammes, constituée de la suite instrumentale DREAMS (Dust Characterisation, Risk Assessment, and Environment Analyser on the Martian Surface), une station météorologique, sera embarquée sur cet atterrisseur. Un second lancement enverra en 2018 sur Mars le rover européen Pasteur.



EISS, quant à lui, est composé d’un émetteur et d’un récepteur sur l’atterrisseur, et d’un récepteur sur le Rover. Du fait de la réduction du poids de l’atterrisseur imaginé lors du scénario de vol précédent, l’expérience EISS n’a finalement pas été sélectionnée. L’instrument est donc resté en phase de prototypage mais le CNES continue d’assurer financièrement son développement afin de pouvoir répondre d'éventuels nouveaux appels d’offres en proposant un instrument suffisamment mature techniquement.


Carte électronique de WISDOM, prototype version 3.

Parallèlement à EISS, un second radar GPR était en développement au LATMOS. Il s’agit de WISDOM (Water Ice and Subsurface Deposit Observation On Mars), dont la responsable scientifique est Valérie Ciarletti 1 , chercheure au LATMOS, et qui est conçu au Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux, en collaboration avec l’université de Dresden, en Allemagne. En fait, dès la fin de mon contrat pour travailler sur EISS, je me suis impliqué dans WISDOM, dans le but d'améliorer les performances du radar. Un prototype déjà bien élaboré existait alors.


WISDOM sera embarqué sur le rover Pasteur en 2018 avec plusieurs autres instruments dont MOMA , un chromatographe en phase gazeuse développé à l’IPSL, au LATMOS et au LISA . Grâce à sa résolution plus fine que celle d’EISS (de quelques centimètres et à 2-3 mètres de profondeur), WISDOM permettra de localiser les endroits les plus intéressants pour forer et prélever des échantillons du sous-sol martien.


Carte électronique Micro-ARES, prototype version 2.

Parallèlement à ces projets, je travaille sur l’instrument Micro-ARES (Atmospheric Relaxation and Electric field Sensor) dont le responsable scientifique est Franck Montmessin 2 . Micro-ARES sera embarqué à bord de l’atterrisseur EDM lors de la mission de 2016. Dédié à la mesure du champ électrique dans l’atmosphère martienne sur le site d’atterrissage, Micro-ARES est rattaché à la station météorologique DREAMS. Le champ électrique sur le sol martien n'a encore jamais été mesuré et il semblerait qu'il se crée durant les tempêtes, lorsque les poussières martiennes sont soulevées.


Beaucoup de travail a été fait ces deux dernières années pour récupérer l'héritage technique de l'instrument d'origine appelé ARES (ayant subi le même sort qu'EISS en 2009), notamment sur la partie numérique, pour laquelle j’ai conçu une carte prototype actuellement en cours de développement et de test. Un modèle de vol doit être livré fin 2013-début 2014, le planning est donc très serré.


Vous avez travaillé à peu près autant de temps dans le secteur privé que dans le secteur public. Que retirez-vous de ces deux expériences ?

Bien sûr, le côté financier est important (j’étais mieux payé dans le secteur privé !), mais ce qui compte avant tout pour moi, c’est l’intérêt du travail en lui-même. Dans mes expériences du privé, j’étais en général cloisonné à une activité particulière, sauf chez Thalès, où je pouvais suivre de bout en bout le développement de mes projets. Cette façon de travailler, qui est d’ailleurs comparable à celle du LATMOS, est très enrichissante. Au LATMOS, je fais aussi bien du développement que de la simulation et de la réalisation d’instruments. En dehors de mon métier d’électronicien, je travaille directement avec plusieurs autres corps de métiers (pour la conception des antennes, les parties numérique, mécanique et thermique) et bien sûr avec les chercheurs. Tout ceci constitue un cadre très enrichissant qui me convient bien, étant de nature curieuse. En décidant de travailler dans le secteur public, j’ai choisi un métier intéressant qui me permet d’avoir une vision globale des projets, de leur conception à leur réalisation, sans cloisonnement technique et scientifique, ce qui est bien sûr bien plus motivant pour moi et bénéfique aux projets.


Des rencontres ont-elles déterminé votre choix professionnel ?

Lorsque j’étais en master, un de mes professeurs 3 m’a proposé de travailler chez Thalès en tant qu’apprenti en alternance et il a soutenu mon dossier. Je pense avoir eu raison de choisir cette voie car le travail m'y a beaucoup plu et m’a permis, par l’expérience acquise, d’arriver où je suis maintenant.


Qu'est-ce qui vous motive dans votre travail ?

Comme je viens de l’expliquer, c’est avant tout la vision globale que j’ai des projets dans lesquels je suis impliqué qui me motive. Travailler en équipe dans un laboratoire de recherche m’apporte beaucoup, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. En plus, c’est un domaine que peu de personnes connaissent.


Une autre motivation forte est de pouvoir assister au lancement d’un instrument sur lequel j’ai travaillé et de le voir voler. J’espère pouvoir vivre cela lors du premier vol d’Exomars en 2016.




Qu'est-ce qui vous déplaît dans votre travail ?

Quand on travaille dans le spatial en recherche et développement, il y a toujours une incertitude liée au fait que le projet peut, à tout moment, être débarqué de la mission si les financiers estiment qu’il ne répond plus aux critères. Ceci a été le cas pour EISS. Cependant, en général, un projet retiré servira probablement un jour. Mais il peut être frustrant et assez démotivant de travailler dans ces conditions.


Dans mon travail, les délais à respecter sont souvent très serrés et je suis parfois amené à travailler dans l’urgence. Les dates limites peuvent aussi être repoussées. Là aussi l'équipe doit travailler dans l’urgence en raison d’incohérences entre le planning établi et les décisions finales, dans le sens où certaines décisions sont prises tardivement. Personnellement, je n'en souffre pas vraiment mais cette situation peut durer plusieurs années et je comprends que certaines personnes la supportent mal.


Dans ce contexte, et pour éviter d’être démotivé par des projets qui pourraient ne pas aboutir, je pense qu'il faut se diversifier en travaillant aussi sur des projets au sol, ce que j'aimerais faire un jour.

Rover Exomars


D’après vous, quelles qualités faut-il avoir pour faire votre métier ?

Je pense qu'il faut être très rigoureux. Je développe des instruments spatiaux liés à l’assurance qualité. Je travaille sur des prototypes et rien ne doit être laissé au hasard. Lorsque je travaillerai sur des modèles de qualification en salle blanche, ils devront atteindre un niveau de fiabilité maximal tant en ce qui concerne le dimensionnement des matériaux électroniques, que la robustesse des parties software et numérique.


Il faut aussi être curieux et ouvert aux différents métiers impliqués dans la conception de l’instrument et à leurs contraintes, pour les développer du mieux possible et éviter d’éventuelles erreurs de conception. Il faut être à l’écoute de ce qui se fait dans les autres équipes pour éviter les incompatiblités. Par exemple, je dois avoir un minimum de notions en mécanique et en thermique, en phénomènes de radiation…


Si vous ne deviez donner qu’un conseil à un jeune qui cherche sa voie, ce serait quoi ?

Je le pousserais à être curieux et à se remettre en cause pour qu'il ne reste pas sur ses certitudes, pour qu’il ait une vision globale et un oeil critique du domaine dans lequel il souhaite évoluer.


Que seriez-vous si vous n'étiez pas électronicien ?

Peut-être archéologue ! J’y pensais sérieusement avant de passer le baccalauréat mais beaucoup de contraintes sont liées à ce métier, comme les études et les déplacements longs. Finalement, je trouve qu’il y a une logique entre l’archéologie et mon métier actuel, et un même état d’esprit : je développe des instruments faits pour découvrir une autre planète, c’est aussi de l’archéologie dans un sens !



Notes

1. chercheure au LATMOS et responsable scientifique d'EISS

2. chercheur au LATMOS

3. Patricia Grassin, chef de département GEII, IUT de VIlle d'Avray



Entretien fait à Guyancourt en juin 2013

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau



En savoir plus : Test du Rover martien de l'ESA dans le désert chilien en octobre 2013

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