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Philippe DROBINSKI

Philippe Drobinski est directeur de recherche au LMD à l'Ecole Polytechnique, il y est également chargé de cours résident. Après avoir fait un court séjour en tant que chargé de recherche au Service d'Aéronomie, Philippe Drobinski devient chercheur au LMD en 2007 pour pouvoir devenir professeur chargé de cours résident à l'X. L'étude de la dynamique de la couche limite atmosphérique le mène finalement à s'intéresser au climat régional, avec HyMex, le projet de sa vie. Il dirige aussi le pôle Climat et Environnement Régionaux de l'IPSL.



Philippe Drobinski, racontez-nous votre parcours pour devenir chercheur...

J'ai obtenu mon baccalauréat scientifique au Lycée Louis le Grand à Paris, où j'ai poursuivi mes études en classes préparatoires.


En 1991, j'ai intégré l’Ecole Centrale de Lille où j’ai effectué mes deux années de tronc commun. Ma troisième année de spécialisation s’est déroulée à Centrale Paris où j’ai choisi l’option Océan : j'ai suivi en cours aménagés le DEA d'Océanologie, Météorologie et Environnement à l'Université Pierre et Marie Curie, un moment très fort de mon cursus !


J'ai ensuite effectué mon stage de DEA dans l'équipe lidar de Pierre Flamant au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD). En 1994, j’ai fait mon service militaire à la Direction des Centres d'Expérimentations Nucléaires durant lequel j'ai fait plusieurs longs séjours en Polynésie Française. En 1995, j'ai obtenu une bourse de docteur-ingénieur du Centre national de la recherche scientifique grâce à laquelle j'ai poursuivi en thèse mes travaux initiés durant mon DEA. En 1998, j’ai obtenu le grade de docteur de l' Ecole Polytechnique (thèse intitulée "restitution des écoulements atmosphériques par lidar doppler météorologique : premières applications") puis j’ai enchaîné avec un post-doctorat financé par le Centre national d'études spatiales pour travailler sur le futur lidar spatial ADM-AEOLUS ( 1 ). Après un séjour à Seattle, à l'Université de Washington, pour travailler sur la dynamique de la turbulence dans la couche limite atmosphérique et sur la modélisation numérique, j’ai obtenu en 2001 un poste de Chargé de Recherche CNRS au Service d'Aéronomie ( 2 ). En 2007, j’ai été affecté au LMD car je souhaitais postuler à un poste de Professeur Chargé de Cours résident à l'Ecole Polytechnique. Il est en effet préférable d’être résident à l’X pour y devenir professeur.

 

Philippe Drobinski


Des rencontres vous ont-elles inspiré dans votre choix professionnel ?

Une rencontre a complètement forgé mon projet professionnel : c’était, en seconde année de Centrale, l’intervention d'un ingénieur de l' IFREMER de Toulon venu nous présenter des méthodes de relevés bathymétriques par sonar. Après cette intervention, c'était décidé, je ferais de l'océanographie !


Du coup, j’ai fait un stage de seconde année de l’Ecole Centrale à l’Institut de Mécanique et de Statistiques de la Turbulence (IMST, devenu l'IRPHE) à Marseille, et j’ai demandé à faire l’option océan, très orientée génie naval pour ma troisième année de Centrale Paris. En parallèle j'ai suivi le DEA de Paris 6 et, de l'océanographie à la météorologie, un seul petit pas est nécessaire, je l'ai fait en rejoignant le LMD en stage de DEA.


En quoi consiste votre travail ?

C’est une très bonne question car j’ai toujours du mal à expliquer en quoi mon métier consiste, et pas seulement à mes enfants !


Faire de la recherche scientifique c’est essentiellement produire et développer des connaissances scientifiques. Je dirais que la base de mon métier est d’innover, d’imaginer et d’expliquer.


Innover, c'est identifier ce que l'on ne sait pas ou ce que l'on ne comprend pas, trouver de nouvelles choses. Imaginer, c'est réfléchir aux différentes hypothèses susceptibles d'expliquer ce que l'on ne comprend pas. C'est aussi mettre en oeuvre des savoir-faire, des connaissances mais aussi des capacités techniques pour tester les hypothèses. C’est réfléchir à une façon de les valider, par l’observation et la modélisation par exemple.


Enfin expliquer, c'est le but ultime, quand toutes les pièces du puzzle sont à leur place. C'est LE moment de grande joie, où on a enfin compris les processus !


Puis il y aussi les cours à l’Ecole polytechnique, j’ai une charge de mi-temps (environ 60 heures devant les élèves en cours magistral) pour encore 5 ans. Enseigner est une passion, et l’X offre un cadre d’enseignement formidable. J’enseigne depuis que je suis au CNRS. Je donne un cours sur la météorologie et l’environnement et un cours sur les énergies renouvelables.


Mon travail a beaucoup évolué depuis mes débuts en instrumentation lidar. J'ai commencé à utiliser des lidars pour étudier la dynamique de la couche limite atmosphérique, c’est-à-dire comprendre la turbulence dans les phénomènes météorologiques, la météorologie de montagne, les vents dans les vallées, mais aussi la météorologie côtière avec les campagnes MAP en 1999 et ESCOMPTE en 2001 notamment.


L’autre aspect de mon travail, depuis 7 ans environ, est l’étude de la contribution de ces phénomènes de météorologie sur le climat régional. La transition de la météorologie vers le climat régional s’est donc faite naturellement. D’où la réflexion autour du projet HyMeX d’étude du bilan hydrique dans le bassin méditerranéen.

Carte du bassin méditerranéen


HyMex, c’est le projet d’une vie, je ne pense pas en refaire un autre comme cela ! A la base, c’était juste une discussion avec Véronique Ducrocq (Météo France) en 2005 ! Aujourd’hui, quelques années après, HyMeX est labellisé par le programme international GEWEX (Global Energy and Water Echanges Project) du WCRP (World Climate Research Program) et le WWRP (World Weather Research Program). Cela fait plaisir !


HyMeX a officiellement débuté en 2010 après cinq années de préparation aux niveaux national et international. Des observations sont menées sur le long terme (10 ans) en s'appuyant par exemple sur des observations de routine aux observatoires existants ou sur des bateaux d'opportunité, essentiellement commerciaux. Deux campagnes intensives ont eu lieu en 2012 et 2013, encadrées par des campagnes hydrologiques renforcées en 2011 et 2014. En fait, tout est planifié jusqu’en 2020 !


Organiser ces campagnes a demandé beaucoup de temps, de travail, et a engendré une pression énorme. Nous sommes en grande partie sortis de cette phase même si nous envisageons de pouvoir organiser de nouvelles campagnes du côté est de la Méditerranée. Il faut maintenant trouver les financements pour analyser les données et répondre aux questions scientifiques d'HyMeX. Le travail n’est donc pas fini !


Je suis également responsable du Pôle  « Climat et environnement régionaux  » (CER) de l’IPSL. Le pôle se structure également autour de 3 grands axes : le développement d'outils de modélisation couplée à fine échelle pour analyser les observations de terrain, les études de processus sur des régions comme l’Afrique, la Méditerranée, l’Amérique du Sud, l’Arctique et la réflexion autour des impacts, notamment sur l'énergie, l’eau et la santé. Les travaux les plus visibles du pôle ont porté jusqu'à présent sur la modélisation couplée qui a largement accompagné l'effort de modélisation des projets HyMeX, ChArMeX et MerMeX du méta-programme MISTRALS , le projet international CORDEX (Coordinated Regional Climate Downscaling Experiment) pour lequel nous avons fait des simulations à long terme sur les continents qui nous ont permis de nous positionner sur plusieurs projets européens, et les études communes avec le Site instrumental de recherche par télédétection atmosphérique ( SIRTA ).



Lors de la campagne HyMeX 2012


Vous rappelez-vous de votre première réussite scientifique ?

Mes premiers travaux qui ont eu un impact dans la communauté internationale sont ceux sur la structure anisotrope de la turbulence dans la couche de surface atmosphérique. Il s’agissait des premières recherches autonomes que j’ai coordonnées à mon retour des USA et dont certains aspects étaient innovants, à la fois dans les résultats sur les mécanismes identifiés mais aussi dans les méthodes utilisées qui combinaient mesures lidar (peu utilisées jusqu'alors pour ce type d'étude), simulations des grands tourbillons (large-eddy simulation) et développements théoriques (rapid distortion theory). Ces travaux ont permis des avancées sur la paramétrisation de la turbulence dans les modèles numériques.


Qu’est-ce qui vous motive dans votre métier ?

Ce qui me motive dans ce métier, c’est bien évidemment de résoudre les énigmes. C’est l’aspect le plus fascinant et le plus excitant de mon métier : comprendre ce que l'on ne comprend pas !


Un autre aspect exaltant est le travail en collaboration, que ce soit au sein de mon équipe ou avec des laboratoires, en France et à l'étranger. J’adore former des jeunes chercheurs et aussi l'incessante confrontation avec les questions soulevées par la recherche.


Enfin, c'est le sentiment d'une grande liberté. C’est un métier créatif où la possibilité est donnée aux chercheurs de faire la recherche qu’ils veulent. Si je le souhaite, je peux reprendre des recherches sur la turbulence, à condition de trouver le financement pour mener ces travaux. Si on me retirait cette liberté, les sources de motivation ne seraient pas les mêmes.


Qu’est-ce qui vous déplaît dans notre métier ?

Le travail de chercheur évolue au long d'une carrière. Comme tous mes collègues chercheurs, avec l’expérience,  j’ai dû prendre des responsabilités d’animation et de coordination, apprendre à gérer des projets et à acquérir des compétences en ressources humaines. Nous sommes, nous chercheurs, maintenant amenés à gérer des individus, des budgets, de façon très contraignante car les charges administratives sont de plus en plus lourdes.


Ces expériences sont enrichissantes et construisent le chercheur que je suis mais certaines ont tendance à m'éloigner un peu trop du métier que je voulais faire quand j'ai été recruté au CNRS. Parfois, je regrette mes premières années de recherche où tout mon temps était dévolu à la recherche proprement dite et j’aimerais avoir plus de temps pour me consacrer à la recherche.


D’après vous, quelle(s) qualité(s) faut-il avoir pour bien travailler dans la recherche ?

Il faut être très innovant et imaginatif, persévérant et avoir un minimum de conviction !


Si vous ne deviez donner qu’un conseil à un jeune qui hésite à se lancer dans la recherche, ce serait quoi ?

Tout dépend des raisons de son hésitation... et tant de choses intéressantes peuvent être vécues en dehors de la recherche que je ne sais pas si je donnerais des conseils à un jeune qui hésite. Je répondrai à toutes ses interrogations, je lui exposerai le pour et contre de notre métier. Je ne donnerais des conseils qu’à un jeune qui n’hésite pas à se lancer dans  la recherche !


Que feriez-vous si vous n’étiez pas chercheur ?

Il y a tellement d'autres choses qui m'intéressent que je ne suis pas sûr de savoir répondre... Serai-je chercheur toute ma vie d'ailleurs? Ce n’est pas impossible mais je ne le sais pas.


Tout est une histoire d’opportunités. Je suis très ouvert et parfois je me dis que ce serait bien de faire une pause dans mon métier de chercheur. Ce sont les compétences et le jeu du métier qui m’intéressent. Mais je pourrais tout aussi bien faire du commerce, de l'ingénierie environnementale, dans une petite entreprise ou un grand groupe industriel, ou faire tout autre chose...


En dehors du travail, quelle est votre occupation préférée ?

Je pratique les arts martiaux à haute dose depuis près de 30 ans, environ 8 heures par semaine, avec toute ma famille. Je pratique le karaté, que j'enseigne, ainsi que le krav-maga (self-défense israélienne) et le jiu-jitsu-brésilien (lutte brésilienne). Je me suis aussi mis récemment à l'aviation. J'ai commencé par le brevet d'ULM multi-axes, qui sont de petits avions biplaces et je poursuivrai par la licence de pilote privé. J'aurais dans quoi me recycler si un jour je ne désire plus être chercheur !...


Notes :

1. lidar doppler dédié à la mesure du vent qui sera mis en orbite prochainement dans le cadre du programme spatial de l’ESA et dans lequel le LMD et le LATMOS sont impliqués depuis longtemps

2. La fusion du Service d'Aéronomie avec le Centre d'Etudes des Environnements Terrrestre et Planétaires a donné naissance au LATMOS en 2009


En savoir plus :

- Carnet de campagne HyMeX 2012

- Carnet de campagne HyMeX 2013

- Méditerranée, le temps des mesures


Entretien fait à Paris en 2014

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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