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Noël GRAND

Noël Grand, un touche-à-tout qui fait rimer travail avec curiosité et plaisir, est ingénieur de recherche au CNRS et directeur technique du LISA. Noël Grand a soutenu sa thèse de physique théorique en 1996 sur "le chaos acoustique sur les instruments à anche simple". En 2007, il a créé le département technique du LISA et s'efforce de faire cohabiter science et relations humaines. Il travaille également sur plusieurs projets de recherche spatiale, notamment MOMA-GC. Il a obtenu cette année le Cristal du CNRS.



Noël Grand, vous êtes ingénieur de recherche au CNRS et directeur technique du Laboratoire Inter-universitaire des Systèmes Atmosphériques . Quel est votre parcours ?

Quand j’étais collégien et lycéen, je ne pensais pas travailler dans la recherche. Dès la seconde, je voulais faire de la physique, beaucoup de physique, mais pas forcément dans la recherche. J’ai donc préparé un BTn (Baccalauréat Technologique) à l’Ecole Nationale de Chimie Physique et Biologie de Paris (rebaptisé Lycée Pierre-Gilles de Gennes - ENCPB), pour faire de la physique instrumentale. J’avais environ quinze heures de cours de physique par semaine, auxquelles s’ajoutaient les cours de chimie, de bureau d’études, bref il y avait tout ce qu’il fallait pour faire de l’ingénierie ! Je n’avais pas de projet de carrière, c’était juste ce que je voulais faire et je me faisais plaisir. J’ai eu mon BTn et on m’a proposé de passer le Concours général de physique technologique : j’y ai été reçu premier. Ensuite, j’ai fait deux ans d’école préparatoire (math sup et math spé) mais cela ne m’a pas plu du tout et je me suis inscrit à la faculté de Paris 7, sur le campus de Jussieu, en astrophysique. J’ai suivi le cursus licence-maîtrise-magister (filière moitié ingénieur, moitié recherche) en vue d’obtenir un diplôme d’ingénieur en fin de DEA (diplôme d’études approfondies). Au tout début de la licence, la physique théorique m’intéressait et j’ai finalement fait ma maîtrise à l’Université de Saint-Andrews, en Ecosse, pour faire de l’astrophysique. A mon retour à Paris je me suis inscrit en DEA de physique théorique (champ particule matière) à la faculté d’Orsay. Après le DEA, j’avais le choix entre faire une thèse en physique théorique (relativité quantique) ou étudier le chaos dans l’acoustique musicale, en collaboration avec l’Ecole Normale Supérieure de Paris et l’ESPCI (Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris). J’ai choisi la seconde option : le sujet de ma thèse était « le chaos acoustique sur les instruments à anche simple », comme la clarinette et le saxophone. Durant ma thèse, je devais faire une clarinette expérimentale qui permettait de jouer et de simuler quelqu’un qui jouait de la clarinette. Cela m’amusait beaucoup. Et comme je ne voulais pas interrompre ma thèse par le service militaire, je l’ai faite en deux ans et je l’ai soutenue en 1996.


Noël Grand



J’ai fait mon service militaire en tant que scientifique du contingent au CETP (Centre d’Etude des Environnements Terrestre et Planétaires), où j’avais fait un stage de maîtrise avec Gérard Caudal sur la réflectivité de Titan. Lors de ce stage, j’ai rencontré Laurence Eymard, alors chercheure au CETP, qui m’a conseillé de traiter des données SEMAPHORE , une base de mesures pour étudier les interactions entre la couche superficielle océanique et la basse atmosphère. C’est comme cela que je me suis retrouvé à la Division Technique de l’INSU (DT INSU) sous la responsabilité de Christian Allet, dans l’équipe avion. Je n’ai finalement jamais traité de données SEMAPHORE car Christian m’avait chargé de réaliser une étude complète de la chaîne de mesures sur avion, du capteur jusqu’à l’acquisition de données et de créer une base de données objet. J’y suis resté en CDD deux ans après le service militaire. En 2000, j’ai intégré la DT INSU en tant qu’ingénieur de recherche pour travailler sur l’informatique embarquée dans l’équipe avion. Le fait de ne pas être malade lorsque nous volions dans les turbulences à 100 mètres d’altitude au-dessus de la forêt alors qu'il fallait programmer en assembleur a certainement joué en ma faveur ! J’ai alors conçu tout le système informatique d’acquisition de données du Mystère 20 que la DT INSU venait d’acquérir en complément du Fokker 27. C’était quelques années avant les premières campagnes de terrain du programme AMMA d’étude de la mousson africaine. Petit à petit, j’ai pris en charge l’organisation des campagnes de terrain, je travaillais principalement avec Jacques Pelon et Gérard Ancellet du Service d’Aéronomie : j’étais à l’interface entre les chercheurs, les pilotes et la partie technique pour préparer le terrain, faire les plans de vols, j’avais une vue d’ensemble de ce qui se faisait au niveau de la mesure, des capteurs, j’ai eu beaucoup d’interlocuteurs et j’ai beaucoup appris pendant cette période.


Lidar-radar RALI dans le Falcon 20

En 2003, François Baudin a été reconduit dans sa fonction de directeur de la DT INSU et la place de directeur adjoint de la DT INSU de l’antenne de Meudon était libre (Guy Penazzi venait de prendre sa retraite). On m’a proposé de la prendre, ce que j’ai fait avec grand plaisir. Le projet d'un radar-lidar RALI , qui devait voler dans le Falcon 20 nouvellement acquis en remplacement du Mystère 20, a alors été lancé et j’en suis devenu chef de projet, en collaboration avec le CETP et le Service d’Aéronomie. Au bout de deux ans, en 2006, le projet était prêt et nous avons pu faire voler RALI pendant la campagne AMMA. En 2006, François Baudin a pris sa retraite et la direction de la DT INSU a changé. Cela faisait alors dix ans que je travaillais à la DT INSU et j’ai décidé de partir.


Au même moment, le LISA décidait de se restructurer en créant un département technique et son directeur m'a proposé de le mettre en place.



Pourquoi avoir choisi d’être ingénieur de recherche plutôt que chercheur ?

La recherche me plaisait beaucoup quand j’étais doctorant mais je n’ai jamais voulu en faire mon métier. J’ai toujours voulu travailler dans l’ingénierie car je suis un « touche-à-tout » et j’aime avoir une vision d'ensemble des projets sur lesquels je travaille. Pour moi, être chercheur ou ingénieur est un état d’esprit et ce sont deux métiers complémentaires et indissociables.



Depuis votre nomination au LISA,
vous venez de recevoir le Cristal du CNRS . En quoi consiste votre poste de directeur technique du LISA ? Pourquoi avoir choisi cette fonction ?

Le LISA est un laboratoire de chimie et quand je suis arrivé il n’y avait que des chimistes et pas d’équipe support pour faire du développement instrumental. Il a donc fallu créer et développer cette équipe. Un opticien, un électronicien, un instrumentaliste et des informaticiens ont d’abord été embauchés puis quelques autres postes, qui ont permis au département technique d’avoir une cohérence, avec des pôles. L’objectif est d'agrandir encore ce département afin de pouvoir répondre aux besoins des chercheurs en terme de développements instrumentaux, de modélisation et de R&D autour de la chimie analytique qui est au centre de toutes les thématiques du LISA, sans devoir faire trop de concessions et de choix pour miser sur la qualité scientifique.


J’ai aussi à coeur de pousser les promotions. A mon arrivée, la laboratoire n'était pas structuré comme il le fallait pour permettre une bonne visibilité du personnel technique, ce qui rendait les promotions d'autant plus difficiles à avoir. Mon rôle de directeur technique est aussi de faire en sorte que chacun puisse avancer au niveau de son plan de carrière. Avec la nouvelle structure, nous avons obtenu un bon nombre de promotions même si cela n'est pas suffisant et que cela reste un problème très difficile à résoudre.


En dehors de cet aspect administratif de mon travail, je participe à plusieurs projets de recherche spatiale. Je suis chef de projet de MOMA-GC , projet mené en collaboration avec le LATMOS, le MPS en Allemagne et la NASA-GSFC aux Etats-Unis. L'objectif de MOMA-GC est d’analyser et d’identifier des molécules organiques issues des échantillons sol qui seront prélevés par le rover BRUNO de la mission EXOMARS en 2016. Je participe à des projets de R&D en commun avec le LATMOS, le LPC2E et l' IPAG , comme l'Orbitrap, un spectromètre de masse à très haute résolution. Mais je continue à m'intéresser à l'instrumentation avion et je reste impliqué dans AVIRAD (un ensemble d’instruments de mesures de la composition physico-chimique et optique des aérosols), un projet dont le LISA a la responsabilité scientifique et qui avait été conçu avec l'aide de la DT-INSU.


Notre équipe technique collabore étroitement avec les autres laboratoires de l’IPSL, en particulier le LATMOS et le LMD .

Integration de RALI dans le Falcon 20



Participez-vous à des campagnes expérimentales ?

J’ai participé à plusieurs campagnes expérimentales. Lorsque j’étais en CDD à la DT INSU, la première campagne de mesures à laquelle j’ai participé était EXPRESSO (mission d’étude des émissions des écosystèmes tropicaux dans la basse atmosphère conduisant à la production d'ozone) en République Centrafricaine et j’en ai un souvenir mémorable, mais pas pour les raisons que l’on pourrait croire. Pendant un vol de mesures, les frontières ont été fermées en raison d’un coup d’état. Nous avons été obligés d’atterrir en République Centrafricaine et y avons été bloqués pendant trois semaines. Seule une vingtaine de personnes a pu être rapatriée tout de suite en France sur la quarantaine que nous étions. Il ne restait sur place plus que le personnel nécessaire pour faire les vols et les mesures. Nous avons connu des moments épiques : prise d’otages, tirs de balles, des mirages nous escortaient en permanence pendant les vols. Et, pour couronner le tout, le jour où on est rentré en France, notre hôtel a été bombardé, heureusement on venait juste de le quitter !


Comme je l’ai déjà dit, j’ai aussi beaucoup pris part à la campagne AMMA en 2006. En tout, j’ai dû participer à des expériences et campagnes dans une vingtaine de pays, c’est très formateur et très plaisant. Malheureusement, j’ai beaucoup moins de temps à y consacrer maintenant.



Est-ce qu’une expérience vous a apporté plus de satisfactions qu’une autre ?

En général toutes les expériences auxquelles j’ai participé m’ont beaucoup appris, tant sur le plan humain que technique ou scientifique. En fait, tout m’intéresse et m’amuse, je suis toujours partant !



Des rencontres ont-elles inspiré votre choix professionnel ?

J’ai toujours su ce que je voulais faire donc je ne peux pas dire avoir été inspiré par une personne en particulier. Mais j’ai eu la chance de faire des rencontres très intéressantes et d’être là au bon moment. Quand j’étudiais à l’ESPCI, je côtoyais des grands noms comme Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak et j’ai souvent eu des discussions passionnantes avec eux. A la DT INSU, j’ai travaillé avec des personnes comme François Baudin, Guy Penazzi, Christian Allet, André Gribkoff, qui m’ont beaucoup appris sur le travail et sur les relations avec les autres, ou encore Bernard Sinardet, un collègue électronicien du CETP de Saint-Maur qui avait fait les Terres Australes et Antarctiques Françaises -une école que j’aurais d’ailleurs bien aimé faire- et qui est un vrai puits de science. Je pense aussi à mes directeurs de thèse, Franck Laloë et Vincent Gibiat. Il ne s’agit là que de quelques rencontres parmi celles que j’ai faites, je ne peux pas toutes les citer.


Est-ce un choix délibéré de travailler dans un laboratoire des sciences de l'environnement ou un hasard ?

Absolument pas, le hasard et les circonstances m’ont entraîné vers les sciences de l’environnement. Je pense que je me serais autant amusé dans un autre domaine de recherche, à condition qu’il y ait une bonne équipe bien sûr. Mais il n'empêche que j'adore ce que je fais dans les sciences de l'environnement.



Qu'est-ce qui vous motive dans votre métier ?

J’aime travailler sur un projet dans sa globalité et l’appréhender complètement, m’y consacrer d’un bout à l’autre. Je suis assez adepte de cette pensée de Blaise Pascal : « puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir un peu de tout ».


L’aspect relations humaines du travail me motive aussi beaucoup et j’essaie de faire en sorte que chacun puisse s’insérer au mieux à son poste et y trouver le plus de satisfactions possible. Equation qu'il n'est jamais facile de résoudre !


Qu’aimeriez-vous changer dans votre métier ?

J’aimerais qu’il y ait plus de postes ! Le manque de personnel nous rend sous-efficace. Du coup, personne ne s’investit pleinement dans ce qu’il devrait faire mais dans une multitude de choses annexes. Moi-même, je ne dois faire que la moitié de ce que je devrais faire car je suis obligé de gérer d’autres choses, qui ne sont pas forcément de mon ressort. Ce n’est rentable pour personne et certainement pas pour le CNRS. Je pense qu’une bonne politique de recherche consisterait à sélectionner peu de projets et à mettre en place tous les moyens nécessaires pour les mener à bien, comme ce qui se fait à la NASA. En France, dans la recherche publique, on veut travailler sur tout mais avec insuffisamment de moyens, du coup tout le monde est en sous-effectif et sous pression. Si on continue ainsi, dans dix ans, la recherche publique sera complètement dépassée par l’industrie. J’aimerais donc qu’on arrive à endiguer ce phénomène, c’est assez utopique, en tout cas j’y travaille. Il faut ajouter à cela toutes les lourdeurs administratives que nous connaissons quotidiennement...


Quel trait de caractère vous aide le plus dans votre vie professionnelle ?

Il faut être curieux. En définitive, il est rare qu’on ne travaille que sur le projet pour lequel on a été embauché. Les activités de chacun s’orientent forcément vers d’autres projets, soit par la force des choses, soit par manque de postes. Je pense qu’il faut donc être curieux, pour mieux s’adapter et mieux évoluer.



Inciteriez-vous un jeune qui cherche sa voie à travailler dans la recherche ?

Non, je n’inciterais un jeune à travailler dans la recherche que s’il a déjà une vraie motivation. Actuellement, de plus en plus de thésards ou d’étudiants en M2 arrêtent leurs études faute de motivation, ce qui est un vrai gâchis, pour eux et pour la recherche. La recherche a besoin de personnes « moteur », à tous les niveaux. Le personnel est déjà en sous-effectif, il faut donc absolument que les futurs ingénieurs de recherche et chercheurs soient moteur pour faire avancer la recherche, et donc qu’ils soient motivés. Mais bien sûr, il faut inciter les jeunes à venir voir ce que nous faisons dans la recherche pour les motiver le plus tôt possible.



Avez-vous envisagé de ne pas travailler dans la recherche ?

Avant d’avoir mon poste d’ingénieur de recherche au CNRS, j’ai un peu travaillé dans le privé, notamment en informatique sur la définition du langage JAVA. Mais j’ai refusé plusieurs postes, avec des salaires bien plus alléchants que dans la fonction publique, car j’avais toujours à l’esprit de continuer à travailler dans les avions, comme je le faisais à la DT INSU. Je ne regrette vraiment pas mon choix.



Souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce portrait ?

Je voudrais rendre un hommage à la DT INSU : je pense que c’est une école par laquelle il faut passer avant de travailler en laboratoire ! Elle propose un contexte de travail très ingénierie, qui donne une vision globale et multi-laboratoires de la recherche que l’on ne trouve pas forcément dans les laboratoires. Plusieurs des anciens de la DT INSU, lorsque j’y travaillais, ont ensuite eu des postes très intéressants dans des laboratoires, notamment à la direction technique (LMD, LISA), c’est mon cas.


Au LISA, devant la chambre de simulation atmosphérique CESAM




Entretien fait au LISA à Créteil, juillet 2011

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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