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Nicole PAPINEAU

Nicole Papineau est directrice adjointe de l'IPSL, en charge du pôle spatial et instrumental. Elle a soutenu sa thèse d'Etat à l'Université Pierre et Marie Curie sur la spectroscopie du gaz carbonique à température élevée en 1985. En 1986, elle a obtenu un poste d'ingénieure de recherche à l'ONERA, où elle a passé quelques années. Curieuse et passionnée par le spatial, Nicole Papineau est entrée au CNES en 1992 au poste de responsable du programme atmosphère moyenne. Elle y a découvert un nouveau monde, celui de la gestion de la recherche.



Nicole Papineau, vous êtes directrice adjointe de l'IPSL. Quel est votre parcours ?

Mes parents étaient chercheurs au CEA. Jeune, j'étais attirée par les sciences, les mathématiques plus précisément, mais je me suis finalement orientée vers la physique atomique et moléculaire.


En 1980, j’ai obtenu ma thèse de 3e cycle en spectroscopie atomique et moléculaire à l’université d’Orsay, je travaillais avec Jean-Marie Flaud et Claude Camy-Peyret, au LPMA (ancien LPMAA). J’ai ensuite obtenu une bourse de l’ONERA pour effectuer une thèse d’Etat à l’Université Pierre et Marie Curie, que j’ai soutenue en 1985, sur la « spectroscopie du gaz carbonique à température élevée ».

 

Nicole Papineau

 

De 1986 à 1992, j’ai obtenu un poste d’ingénieure, à l’ONERA toujours, en spectroscopie et calculs de transfert radiatif pour des applications atmosphériques. C’était le tout début de mon implication dans le monde spatial : j’ai ainsi pu participer à la coordination du second vol du spectromètre à grille (ONERA / IASB) à bord de la navette spatiale en 1992. Je me sentais bien à l’ONERA mais la recherche de contrats devenait la règle (déjà !) et  laissait peu de place au travail de recherche fondamentale, j'avais peu de liens avec la communauté scientifique.

 

Lancement d'un ballon stratosphérique à Kiruna pendant la campagne THESEO 2000

En 1991, le CNES cherchait le responsable de son programme atmosphère moyenne, C. Camy-Peyret et J.-M. Flaud m’ont poussé à y postuler. Etant curieuse et passionnée par le spatial, j’ai tenté ma chance. J’ai, en effet depuis mon enfance, rêvé devant l’exploit du lancement du premier spoutnik, puis en observant parmi les étoiles les premiers satellites qui passaient dans le ciel. Je suis entrée au CNES en février 1992 et j’ai basculé dans le monde de la gestion de la recherche, ce que je n’ai jamais regretté car je m’y suis très vite sentie à ma place. J’étais chargée, par exemple, de la préparation de l’utilisation des données du satellite UARS et de la campagne ballons dans le cadre du projet européen EASOE. J’ai alors découvert un monde de relations, de soutien aux chercheurs, de voyages. C’était assez fatiguant, surtout au début où j’ai dû enchaîner des voyages plusieurs mois d’affilée, notamment pour mettre en place la coopération entre le NRL et le CNES pour lancement de POAM sur SPOT3 ou préparer les campagnes de lancement de ballons. C’est un travail passionnant et, dès le début, j’ai compris que le spatial ne se concevait pas seul : il devait être associé aux instruments déployés au sol, aux ballons, aux avions de recherche. J’ai appris à travailler en coopération entre organismes, avec des personnes très différentes, des scientifiques, des personnels techniques et mes homologues. Ce travail s’effectue dans le cadre de la coopération internationale, ce qui a été très enrichissant, m’a apporté beaucoup au niveau relationnel et m’a permis de découvrir des cultures différentes.

 

En 1996, je me suis occupée de l’atmosphère météorologique avec IASI puis du secteur atmosphère-océan-climat pendant quelques années. En 1999, je suis devenue responsable des programmes océanographiques du CNES : c’était une toute nouvelle aventure avec notamment le lancement du satellite JASON et le démarrage de l’océanographie opérationnelle avec MERCATOR.

 

Lancement de Jason-1, le 7 décembre 2001, depuis Vandenberg en Californie par une fusée américaine Delta II

De 2002 à 2004, j’ai été directrice adjointe de la recherche à mi-temps à Météo-France et j’ai pu approfondir mes connaissances des programmes européens. Mon autre mi-temps était occupé par la présidence du conseil d‘administration de MERCATOR. Faire travailler ensemble six organismes est un challenge, cela a été une aventure passionnante.

 

En février 2004, j’ai été nommée directrice scientifique adjointe de l’INSU pour l’océan et l’atmosphère, une expérience très instructive pour deux raisons. J’y ai découvert la gestion de laboratoires, j’ai dû y faire des choix, plus seulement concernant des budgets ou des projets, mais aussi des choix relatifs à des personnes, c’est une tout autre dimension. Enfin, j’ai participé à deux chantiers importants : la mise en œuvre du programme AMMA qui a été un succès scientifique et inter-organismes, en même temps que celle de la mise en œuvre des nouveaux avions de recherche. Ces années ont été riches en rencontres et relations de travail.



Pourquoi avoir choisi de faire de la gestion de la recherche plutôt que de la recherche ?

C’est avant tout le côté relationnel de la gestion de la recherche et l’ouverture vers de nombreux sujets qui m’ont séduite. Après avoir pratiqué la recherche pendant quelques années, plongée dans mes équations et devant mon ordinateur, j’avais besoin de relations humaines, d’échanger et de discuter avec mes collègues. Je devenais ainsi une actrice, un maillon entre différents acteurs (chercheurs, personnels techniques, organismes..) pour mener à bien des projets.



Le fait d'être une femme vous a-t-il aidé dans votre carrière ou a-t-il rendu les choses plus difficiles ?

Le comité directeur international d'AMMA en juillet 2006

En tant que femme, j’ai du m’imposer dans la plupart des organismes où j’ai travaillé. Lors de mon expérience à l’ONERA, le fait d’être une femme, jeune, dans un milieu industriel d’hommes a été difficile, je n’étais pas prise au sérieux alors que seules mes compétences auraient dû entrer en ligne de compte. Au CNES, participant à des réunions inter-organismes ou en coopération internationale, j’étais quasiment la seule femme  et, de surcroît, universitaire. Mes contacts à la NASA, à l’ESA ou dans d’autres agences, étaient presque exclusivement des hommes. Le seul avantage était qu’on se souvenait plus facilement de moi ! Si je n’avais pas eu le soutien de quelques personnes en particulier, je n’aurais pas pu accéder à certains postes. Le plafond de verre existe bien et même près du plancher, il y a des postes qui ne me seront jamais proposés car je suis une femme !



Quel est votre rôle en tant que directrice adjointe du pôle spatial et instrumental de l'IPSL ?

Je suis revenue dans un laboratoire, à l’IPSL, en 2009, après avoir été deux ans à la direction financière du CNES. Ce travail est un chantier énorme qui consiste à développer une stratégie du spatial à l’IPSL. La grande force de l’IPSL est d’avoir en son sein des chercheurs, ingénieurs et techniciens ayant des compétences variées (modèles, instruments, analyses, algorithmes...), depuis l’idée d’une mission spatiale jusqu’à l’instrumentation et l’exploitation des données.

 

Mon rôle est d’aider à trouver les moyens, de faciliter la coordination entre les acteurs. Je me suis ainsi intéressée aux lidars, à la thématique aérosols-nuages, à la distribution des données.... Mon rôle est également de maintenir de bonnes relations avec les organismes partenaires, le CNES en premier lieu. En agissant au niveau des directions des laboratoires, j’essaie de faire en sorte qu’il y ait plus de concertation entre les laboratoires et la fédération, afin de définir des stratégies communes et que l’IPSL paraisse plus uni, plus visible. Je n’ai pas à intervenir beaucoup au niveau de la partie technique car les responsables gèrent très bien leurs projets.

 

L'instrument GOMOS

Le spectromètre SPICAM

 

Le spatial est un tout, depuis les idées jusqu’à la recherche, la réalisation d’instruments, le suivi d’analyse et l’exploitation des résultats. Il est complémentaire des instruments au sol, des avions et des ballons. C’est la raison pour laquelle je me suis intéressée aux instruments au sol et aux lidars aéroportés, tout en m’occupant du spatial en même temps. Cette partie est très liée à la notion de filière instrumentale qui est propre à quelques laboratoires, comme le LMD, le LATMOS et le LISA pour les instruments spatiaux. Les équipes qui étudient les atmosphères planétaires, d’un côté, et les sciences de la planète, de l’autre, ne fonctionnent pas de la même façon, bien qu’elles soient complémentaires. Les premières sont bien organisées et fonctionnent bien. Je pense que les secondes ont besoin de plus de soutien pour faire en particulier émerger des nouvelles idées de missions, d’instrumentation. Une de mes tâches prioritaires en 2012 sera d’agir au niveau des filières instrumentales et de renforcer les passerelles entre les atmosphères planétaires et les sciences de la planète. C’est une des forces de l’IPSL.



Quels évènements vous ont le plus marqué ?

Au cours du programme AMMA, j’ai eu la chance de participer au voyage de presse qui a été organisé en juillet 2006 lors de la période intense d’observations. J’en ai gardé de très bons souvenirs car je suis passée du côté technocrate au côté recherche sur le terrain et j’ai découvert les moyens déployés sur place : l’Atalante, les instruments, les avions, qui n’étaient jusque-là que des lignes sur des fiches budgétaires. C’est également passionnant d’écouter les équipes scientifiques et techniques vous parler des observations en cours.

 

En 1992, pour le vol du spectromètre à grille, j’ai participé à une expérience unique qui consistait à discuter en direct avec des astronautes en vol, c’était surréaliste ! La même année, j’ai pu assister aux premiers lâchers de ballons stratosphériques à Kiruna dans le cadre de la campagne EASOE et au décollage de la navette spatiale de la base de Cap Kennedy pour le lancement du satellite UARS.  

 

L'ATR et le Falcon français, les deux nouveaux avions de recherche, campagne AMMA en juillet 2006

Le satellite UARS



Des rencontres ont-elles orienté vos choix professionnels ?

Oui, une en particulier, lorsqu’en 2001, Philippe Courtier, directeur général adjoint de Météo-France, m’a proposé le poste de directrice adjointe de la recherche à Météo-France. Gérard Mégie, alors Président du CNRS, m’a fortement conseillé d’accepter le poste, pensant que mon expérience au CNES était un point très positif et qu’il fallait aller voir ailleurs. Je n’ai pas regretté ses conseils.



Qu'est-ce qui vous motive dans votre métier ?

La curiosité, l’échange et, bien sûr, le fait d’évoluer dans une communauté scientifique qui s’intéresse à  l’avenir de notre planète et pour laquelle j’essaie d’apporter mes compétences du mieux que je le peux.



Qu'aimeriez-vous changer dans votre métier ?

Depuis plusieurs années, l’organisation de la recherche a exacerbé la tendance aux projets individuels. Le nombre de réunions de coordination augmente mais dans les faits la recherche d’objectifs communs, entre organismes par exemple, est moindre et la mise en œuvre de projets collectifs est plus difficile. Il faut redonner aux chercheurs l’envie et les moyens de travailler en équipe en diminuant fortement les contraintes bureaucratiques et la recherche aux contrats. Simplifier l’obtention de moyens devrait être la ligne directrice.



Que ne changeriez-vous pour rien au monde ?

Le milieu de la recherche est un lieu exceptionnel d’échanges, de discussions et de rencontres, où la liberté d’expression y a une part belle. Je souhaite que cela ne change pas.



D'après vous, quelles qualités sont nécessaires pour travailler dans la gestion de la recherche ?

Premièrement il est important d’avoir été chercheur et/ou scientifique. La curiosité et l’ouverture d’esprit sont des qualités indispensables qui permettent de rebondir sur des idées qu’on aura peut-être envie de soutenir et de développer afin d’en faire un projet. Dans la gestion de la recherche, il faut en plus, être capable de faire plusieurs choses à la fois. C’est-à-dire être capable de capter les nouveautés, de synthétiser les informations très rapidement et de savoir mettre les gens en relation pour en retirer le meilleur. Il faut pouvoir répondre à toutes les demandes et ne pas se focaliser sur un sujet en particulier.

 

Nuages stratosphériques polaires à Kiruna



Si vous faisiez un autre métier, ce serait quoi ?

Je pourrais faire de la politique, ou bien être restauratrice, mon ambition serait d’avoir un lieu de rencontres et de débats, dans lequel je pourrais régaler mes amis !



Votre conclusion, en quelques mots.

J’ai eu la chance de pouvoir faire des études supérieures et de choisir un métier passionnant. J’aimerais que cela soit possible pour plus de personnes. La gestion de la recherche est un métier passionnant, j’aimerais que mon expérience puisse donner envie à d’autres de faire ce métier. 

 

Travailler à l’IPSL, crée par Gérard Mégie, est pour moi une fierté. Merci à Hervé Le Treut de me l’avoir proposé.

 

 

 

Entretien fait à Paris, décembre 2011

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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