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Laurent BOPP

Laurent Bopp est chercheur au LSCE. A 15 ans, les sciences de la Terre se révèlent à lui à travers la lecture. A 20 ans, étudiant à l'ENS, il découvre le second rapport du GIEC et commence un DEA en physique de l'atmosphère et de l'océan. Il obtient son agrégation en 1997, sa thèse en 2001 et un poste de chercheur en 2003. En tant que modélisateur, il travaille sur le cycle du carbone dans l'océan sur plusieurs échelles de temps et développe de nombreuses applications, notamment au niveau de l'étude des écosystèmes marins.


Laurent Bopp, vous êtes chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement. Racontez-nous votre parcours.

En fait, et cela va en faire sourire plus d’un, ce sont les livres de Claude Allègre, que j’ai lus vers l’âge de 15 ans, qui m’ont donné envie d’étudier les sciences de la Terre. Ses livres, et en particulier, « L’écume de la Terre » et « De la pierre à l’étoile », décrivaient la découverte de la tectonique des plaques dans les années 1960-70 et ils me passionnaient.


Après le baccalauréat et une préparation aux grandes écoles, j’ai étudié les Sciences de la Terre à l’ Ecole Normale Supérieure de Paris . Très rapidement au cours de mes études, j’ai eu la chance de suivre les cours de Gérard Mégie , d’Alain Saliot (professeur à l'UPMC, chercheur au LOCEAN) et de Laurent Labeyrie (directeur de recherche au LSCE), respectivement sur la chimie atmosphérique, la géochimie océanique et la paléo-océanographie. Ces cours m’ont très vite donné envie d’étudier les enveloppes externes. Au même moment, en 1995, je suis tombé sur le second rapport du GIEC que j’ai trouvé formidable. Cette découverte m’a poussé à continuer dans le domaine d’études du GIEC.


J’ai ensuite fait un DEA en physique de l’atmosphère et de l’océan à l’Université Pierre et Marie Curie et j’ai obtenu l’agrégation en sciences de la vie et de la Terre en 1997, disciplines à mi-chemin entre la biologie et la physique. Assez naturellement, je me suis retrouvé en biogéochimie marine, domaine qui regroupe un peu toutes les disciplines que j’avais étudiées jusqu’alors.


En 1997, j’ai fait un stage de 6 mois au MIT à Boston où j’ai commencé à travailler sur le cycle du carbone avec des modèles très simples. Ce stage m’a guidé vers la biogéochimie. En 1998, après avoir eu mon agrégation, j’ai commencé une thèse au LSCE en biogéochimie marine intitulée « Changement climatique et biogéochimie marine » dirigée par Patrick Monfray. Je l’ai terminée en Allemagne au Max-Planck Institute für Biogeochimie à Jena en tant que coopérant du service national, je l’ai soutenue en 2001. Après un an de post-doc au LSCE et au LODyC (ancien LOCEAN) conjointement, j’ai obtenu un poste de chercheur CNRS au LSCE en 2003.


Laurent Bopp


Des rencontres vous ont-elles inspiré dans votre choix professionnel ?

J'ai déjà évoqué les professeurs exceptionnels que j'ai eus dès mes premières années de formation à l’Ecole Normale, Gérard Mégie et Alain Saliot. Laurent Labeyrie m'a marqué car il transmettait avec passion l’amour de son métier de chercheur.


Mes collègues de thèse m’ont beaucoup apporté et nous formions une équipe très dynamique. Je pense notamment à Olivier Aumont, qui travaille maintenant au Laboratoire de Physique des Océans et à Corinne Le Quéré, actuellement à l’University of East Anglia .


Enfin, lors de mon stage au LSCE en 1998, j’ai rencontré José Sarmiento , un des grands spécialistes de la biogéochimie marine, chercheur américain de Princeton, qui était alors en congé sabbatique au LSCE pour écrire un livre qui fait maintenant référence dans le domaine (" Ocean Biogeochemical Dynamics " de J. Sarmiento et N. Gruber). Il donnait des cours sur les chapitres qu’il préparait, j’ai beaucoup appris de lui.



En quoi consiste votre travail ?

L’objectif premier de mon travail est l’étude du cycle du carbone dans l’océan, un énorme réservoir de carbone qui pompe environ un quart du CO2 émis par l’homme et qui pilote en partie l’évolution du CO2 dans l’atmosphère. Pour cela, je travaille sur plusieurs échelles de temps, aussi bien dans les prochaines décennies que dans le passé, notamment le cycle interglaciaire. Combien l’océan va-t-il pomper de CO2 dans le futur ? Combien en a t-il pompé dans le passé ? Pour arriver à savoir cela, j’utilise le modèle du cycle du carbone PISCES, principalement développé par Olivier Aumont, et nous le couplons au modèle de climat global de l’IPSL. Les applications vont de l’étude des climats anciens à celle du climat futur. C’est en fait la suite de mon travail de thèse et c’est aussi la raison pour laquelle je travaille avec le pôle de modélisation du climat de l’IPSL.


De nombreuses applications, qui représentent maintenant environ la moitié de mon travail, se développent autour de ces outils de modélisation, notamment l’étude des écosystèmes marins. En effet, pour représenter le cycle du carbone océanique, il faut introduire la biologie. Mais la biologie réagit énormément au changement climatique et à l’acidification des océans. Nous couplons donc notre modèle, qui représente bien les premiers niveaux trophiques, c'est-à-dire le phytoplancton, à des modèles qui étudient les niveaux trophiques supérieurs, du zooplancton jusqu’aux grands prédateurs marins. Avec des applications sur les ressources marines…  De plus en plus de projets, au niveau national comme au niveau européen, se focalisent maintenant sur la réponse des écosystèmes marins et des ressources marines au changement climatique. Le projet ANR MACROES en est un bon exemple.


Schéma du cycle du carbone publié dans Bopp et al. La Recherche 2002



J’assure aussi quelques dizaines d’heures d’enseignement en cours de thèse pour l’Ecole doctorale des sciences de l’environnement d’Ile-de-France et pour la préparation à l’agrégation et au CAPES, dans le cadre de la formation des professeurs. J’ai l’impression qu'il est important d’assurer la présence de nos disciplines dans ces formations.


J’ai également fait partie du jury de l’agrégation pendant 5 ans, et je participe à l’animation des écoles d’été du projet SOLAS qui ont lieu tous les deux ans : elles regroupent environ 70 étudiants de tous pays, très motivés. Je les retrouve souvent quelques années plus tard dans leur carrière, j’aime les voir évoluer, éventuellement travailler avec eux.


Je suis modélisateur et je ne participe pas ou très peu à des campagnes de mesures. J’aimerais en faire davantage car, en tant que modélisateur, il est important d’être impliqué dans la collecte des données et de pouvoir appréhender les choses différemment. Il y a 6 ans, j’ai participé à la campagne KEOPS 1 à bord du Marion Dufresne au large des îles Kerguelen dans l’océan austral. C’était une campagne de sept semaines, longue et passionnante. Elle a permis de répondre à certaines questions posées par l’une des techniques de géoenginering envisagées pour refroidir la planète : la fertilisation de l’océan par le fer, qui permet l’absorption du CO2 atmosphérique par le phytoplancton. Parallèlement, le phytoplancton émet du sulfure de dyméthyle (DMS) qui passe dans l’atmosphère et constitue des noyaux de condensation sur lesquels les gouttelettes et les nuages se forment. Les deux effets se conjugueraient pour refroidir le climat. Pendant la campagne KEOPS, nous avons montré que la fertilisation naturelle par le fer contenu dans les sédiments du plateau basaltique de Kerguelen n’était pas forcément associée à une augmentation de la concentration du DMS.



Quelle a été votre première réussite scientifique ?

C’était le fait de soumettre mon premier article, même si j’en ai un mauvais souvenir. En effet, un mois après avoir soumis l’article, qui était encore en révision par les pairs, je me suis rendu compte d’un problème au niveau des résultats et il a fallu que je refasse toutes les simulations. Les conclusions étaient heureusement identiques et l’article a pu être corrigé et publié à temps.



Qu’est-ce qui vous motive dans votre métier ?

Tout d’abord, c’est le fait de travailler en collaboration, et en particulier avec des étudiants, aussi bien dans mon laboratoire qu’à un niveau national ou international.


Mon métier me permet d’être interdisciplinaire. J’aime m’investir dans des thématiques différentes et multiplier les collaborations avec  des collègues dans d’autres disciplines, comme par exemple travailler sur les écosystèmes avec des spécialistes des poissons, travailler avec des économistes... Je préfère toucher à tout plutôt que travailler dans un tout petit domaine. Mais il n’est pas toujours bien vu professionnellement de s’investir dans des disciplines différentes. C’est une remarque que l’on m’avait faite lors de ma première candidature en tant que chercheur CNRS.


Enfin, j'aime aller vers le public à travers diverses actions de vulgarisation, des conférences, des expositions, l’écriture de livres dont certains sont destinés aux enfants (1) . Il est très motivant de pouvoir expliquer à différents publics, enfants ou adultes, en quoi mon travail consiste et de voir qu’ils sont intéressés.


Cliquer sur l'image pour voir la conférence "Evolution du climat et de l’océan" (Collège de France, 27 mai 2011)



Que vous ne changeriez-vous pour rien au monde dans votre métier ?

Sans hésiter, le travail d’équipe. La recherche permet de travailler en équipe, dans ou hors du laboratoire, et de créer des relations professionnelles très riches. Bien sûr, de nombreux éléments tendent à nous faire travailler individuellement : les publications, la valorisation des projets multi-laboratoires ou internationaux qui nous éloigne de nos voisins de bureau... Il revient aux chercheurs expérimentés d’en préserver les plus jeunes et de faire en sorte qu’ils travaillent ensemble et partagent les outils et les informations. Mais J’ai aussi la chance de travailler dans une structure, l’IPSL, qui incite beaucoup les différents métiers de la recherche à échanger.


Mon métier me procure une très grande liberté de travail que je n’aurais probablement pas trouvée dans un autre domaine, je m’organise comme je l’entends. Il m’offre aussi la possibilité de voyager, beaucoup, et de découvrir des laboratoires et des collègues étrangers, mais aussi des pays et des cultures différents. D’ailleurs, je pars dans quelques semaines en Afrique du Sud, au Cap, pour six mois, pour travailler avec les équipes en place sur l’impact du changement climatique sur les ressources marines.



Qu’est-ce qui vous déplaît dans notre métier ?

Tout ce qui est lié à l’administration de projets est très lourd et je ne suis évidemment ni le premier, ni le dernier à le dire.


Mais ce qui me déplaît le plus, c’est de voir des collègues quitter le monde de la recherche faute de poste, alors qu’ils sont souvent très compétents, que je les ai parfois formés et que le laboratoire s’est efforcé d'engager le plus longtemps possible. C’est triste et dommage, aussi bien pour eux que pour la recherche car il n’est pas possible de travailler efficacement dans ces conditions. Il suffirait de financer des contrats plus longs dès le départ avec de l’argent de plusieurs projets, plutôt que des contrats à l’année sur un seul projet et, pourquoi pas, créer des CDI plutôt que de passer par des sous-traitants qui, au final, coûtent plus cher.



D’après vous, quelle qualité faut-il avoir pour bien travailler dans la recherche ?

Vous l’aurez compris, je pense qu’il ne faut pas être trop individualiste et, qu’à long terme, le travail individuel peut être destructeur. C'est en particulier le cas du système français où, pour obtenir des financements, il faut travailler en réseaux, contrairement à d’autres pays, par exemple aux Etats-Unis, où le type de financement tend à favoriser les petits projets novateurs, portés par des groupes assez restreints.


Je ne pense pas qu’il y ait un profil de caractère particulier pour bien travailler dans la recherche. Pour fonctionner, une même équipe doit être composée de caractères différents, de touche-à-tout, de têtus (avec qui argumenter et faire avancer les choses), de méticuleux, de créatifs... Mais il faut quand même savoir se remettre en cause souvent et faire plusieurs choses à la fois, faute de temps. Les très bons chercheurs (je ne citerai personne) travaillent à 150 %, sont très éclectiques, lisent énormément et connaissent les toutes dernières publications, ils lancent des idées et délèguent très rapidement. Mais peu de personnes sont capables de s’investir à ce point. En ce qui me concerne, je ne souhaite pas travailler à 150 % !


Il faut bien sûr être curieux, mais c’est une évidence lorsqu’on choisit ce métier !


Figure montrant la diminution (en relatif par rapport au présent) de la productivité marine en 2100 pour le scénario RCP8.5 (scénario très pessimiste), tel que simulé par les modèles CMIP5 pour le 5e rapport du GIEC ’IPCC-AR5 (et incluant le modèle IPSL-CM5)



Si vous deviez donner un conseil à un jeune qui hésite à se lancer dans la recherche, ce serait quoi ?

En fait, je connais mal le monde extérieur à la recherche et je ne pense pas être bien placé pour donner des conseils par rapport à d’autres opportunités. Je rappellerais les énormes avantages que ce métier offre : la liberté dans l’organisation du travail, la multitude de rencontres professionnelles dans des domaines différents et les exceptionnelles possibilités de voyager.


A un jeune qui démarre dans la recherche, d’autant plus s’il recherche un poste, je conseillerais de bien se faire connaître et de saisir toutes les opportunités de le faire, en donnant des séminaires, en intervenant dans des conférences et en communiquant beaucoup sur les outils qu’il développe, sur les résultats qu’il obtient, de façon à se créer rapidement un réseau de contacts et de collègues.



Que feriez-vous si vous n’étiez pas chercheur ?

Je serais certainement enseignant. J’ai vite eu envie de faire des études et je me suis rapidement fait à l’idée d’enseigner avant de devenir chercheur.



En dehors du travail quelle est votre occupation préférée ?

En dehors du travail, la majeure partie de mon temps est consacrée à ma famille. J’ai quatre enfants, entre 12 et 3 ans et demi. J’imagine que les quelques mois que nous allons passer en Afrique du Sud vont représenter une sacrée expérience pour eux, ils vont découvrir une nouvelle langue, un nouveau pays, une nouvelle culture. Pour moi aussi, cette période sera une expérience importante, tant professionnelle que personnelle !




Note :

1. Laurent Bopp a écrit deux livres destinés aux enfants :

Les poissons vont-ils mourir de faim (et nous avec) ?

Les dessous de l’océan (ce livre pour enfants vient juste d'être publié)



Voir aussi cette vidéo réalisé par le CEA en 2013

Cliquer sur l'image pour voir la vidéo

 

 










Entretien fait à Paris en juillet 2012

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

 





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