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Jérôme VIALARD

Jérôme Vialard est directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et travaille au LOCEAN  depuis 2001. En 1997, il a soutenu sa thèse sur "le rôle potentiel de la salinité dans le phénomène El Nino". Il est responsable de la campagne océanographique Cirene et du projet de recherche associé. Ce projet s'intéresse à des phénomènes climatiques sur une large palette d'échelles de temps, allant des cyclones (quelques jours) aux phénomènes plus lents (de l'ordre du mois, de l'année) qui influencent le climat et les moussons dans l'océan Indien. Jérôme Vialard a reçu en 2010 le prix " Christian Le Provost, océanographe ".



Jérôme Vialard, comment êtes-vous devenu chercheur ?

La science m’a attiré très tôt à l’école. L’envie d’étudier l’océanographie (et aussi de faire de la plongée…), m’est venue tout jeune en regardant les reportages du commandant Cousteau, et lors de mes vacances passées le long des côtes Bretonnes. Dès la troisième, j’ai décidé que j’étudierai l’océanographie et les courants marins. Après les classes préparatoires, je suis allé l’École Nationale Supérieure de Techniques Avancées (ENSTA) où j’ai suivi un cours d’environnement marin qui permettait de faire ensuite un DEA (diplôme d’études approfondies) avec l’option océanologie-météorologie. J’ai compris que c’était la filière que je devais suivre et j’ai alors commencé à m’intéresser aux océans tropicaux. J’ai débuté ma thèse en 1994, sous la direction de Pascale Delecluse au LODYC (ancien LOCEAN), et l’ai soutenue en 1997. Mon intérêt pour l’étude des océans tropicaux s’est alors confirmé, en particulier en étudiant El Niño qui était le sujet de ma thèse, l’océan et l’atmosphère intervenant tous deux dans ce phénomène.



Quelle a été votre première expérience scientifique ?

Après ma thèse, j’ai travaillé un an au LODYC et je suis ensuite parti trois ans au centre européen (European Centre for Medium-Range Weather Forecasts, ECMWF) en Angleterre, où j’ai travaillé sur l’assimilation de données dans l’océan, m’éloignant temporairement de la recherche fondamentale à laquelle je voulais consacrer ma carrière. J’ai décroché mon poste de chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en 2001, après avoir passé en tout dix concours chercheur (8 concours CNRS et 2 concours IRD) !



Avez-vous rencontré des personnes qui vous ont particulièrement inspiré ?

Au cours de mes études et de ma carrière, j’ai rencontré plusieurs personnes déterminantes dans mes choix, qui étaient des théoriciens plutôt que des chercheurs de terrain :

  • Christian Le Provost, dont je viens de recevoir le prix, était un de mes professeurs à l’ENSTA. Je suivais son cours sur les marées qui était absolument passionnant, mais je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui.

    Intervention sur une bouée
  • A l’ENSTA, j’ai aussi eu la grande chance de rencontrer Michèle Fieux, chercheure de terrain exceptionnelle qui a roulé sa bosse dans le domaine de l’océanographie, en particulier dans l’océan indien. Elle s’est imposée lors de campagnes en mer à une époque où cela était très difficile en tant que femme, elle l‘a fait avec beaucoup de ténacité et de douceur.
  • Gurvan Madec, alors chercheur au LODYC, m’a permis de prendre mes premiers contacts avec l’océanographie en 1993. J’ai été marqué par la passion qui l’anime.
  • Pascale Delecuse, bien sûr, qui en tant que directrice de thèse a beaucoup contribué à ma formation et a formé beaucoup de personnes qui travaillent maintenant dans la recherche océanographique française.
  • David Anderson, professeur à Oxford, que j’ai rencontré quand je travaillais à l’ECMWF. Il a fortement contribué à écrire l’océanographie équatoriale à l’époque ou on le faisait avec des équations. J’ai beaucoup appris de lui.
  • Julian MacCreary, collègue rencontré en Inde il y a trois ans : à l’instar de David Anderson, il a écrit l’océanographie à l’époque des équations, c’est plutôt un théoricien modélisateur qui ne fait pas de campagnes en mer. Lui aussi m’a permis de réaliser la grande puissance des outils théoriques pour décortiquer la dynamique océanique tropicale.


Que préférez-vous dans votre métier ?

Mon métier me procure une très grande liberté d’organisation (j’habite en province et j’organise mes déplacements librement) et de création, et aussi le plaisir incommensurable de découvrir de nouveaux résultats scientifiques, ce qui est très excitant intellectuellement. C’est un jeu !



Qu’aimeriez-vous changer dans votre métier ?

Avec un collègue sur une bouée

Le système de recherche française est très lourd, très administratif et devrait être réformé. Mais pas de la façon dont cela est fait en ce moment, qui a tendance à l’alourdir davantage. Il faudrait alléger les charges administratives et limiter les étapes lors des appels d’offres notamment. Actuellement, plus on avance dans la recherche, plus on perd de temps en démarches administratives. Je suis souvent frustré car je ne peux pas consacrer tout le temps que je souhaiterais à développer mes idées et, quand enfin je peux m’y mettre, je me rends compte que d’autres l’ont fait avant moi.




D'après vous, quelles qualités faut-il avoir pour réussir dans le métier de chercheur ?

Il faut être passionné, créatif et très intuitif. L’intuition compte beaucoup, notamment dans le choix d’une thématique plutôt qu’une autre. Si je n’avais plus la passion pour mon métier, je ne pourrais plus l’exercer de la façon dont je le fais.



Quel est votre plus grande fierté de scientifique ?

Le Suroît, navire de l'Ifremer à bord duquel la campagne Cirene a eu lieu

Ma plus grande fierté est d’avoir réussi à mettre sur pied la campagne Cirene en 2007. J’ai fait une thèse de modélisation et j’ai ensuite surtout travaillé sur des observations satellite. A un moment donné, je me suis mis en tête de mettre en place une campagne océanographique dans l’océan indien. C’était un défi, d’autant plus que c’était ma première campagne en mer et que j’en étais chef de mission. Je pense avoir eu beaucoup de chance lors de cette campagne alors que je devais gérer les problèmes techniques et humains, qui étaient parfois importants. Il n’y a heureusement pas eu d’incident majeur et, au long de la campagne, aussi bien l’équipage scientifique que l’équipe de bord m’ont renvoyé des messages positifs qui m’ont fait très plaisir. De plus, au niveau des résultats scientifiques, Cirene est un excellent cru qui a permis d’observer une large gammes de phénomènes sur des durées de quelques jours (les cyclones), de quelques semaines (l’oscillation de Madden-Julian 1 ) et de quelques années (la variabilité interannuelle dans la région 2 ), ce qui est beaucoup plus que ce qu’on pouvait espérer.



Quel conseil donneriez-vous aujourd'hui à un jeune qui souhaite faire votre métier ?

De ne pas se décourager et de persévérer pour obtenir un poste. J’en suis un bon exemple. Le métier de chercheur est un métier extraordinaire car il procure énormément de liberté, mais il est très dur d’obtenir un poste, il ne faut pas hésiter à concourir plusieurs fois et, surtout, rester fidèle à sa passion.


Il faut aussi garder les yeux ouverts, c’est-à-dire qu’il faut lire énormément d’articles scientifiques, échanger avec ses pairs pour être toujours informé des dernières recherches.



Que feriez-vous si vous n'étiez pas chercheur ?

Je serai probablement enseignant-chercheur mais ce serait certainement une erreur car cela aurait été un choix par défaut et non par vocation. Sinon, j’aurai certainement cherché ma voie dans une autre de mes passions, l’escalade ou la musique. Mais vu mon niveau dans ces deux domaines, je pense que j’ai bien fait de persévérer dans la recherche !



Souhaitez-vous ajouter quelque chose qui vous semble important et qui n’a pas été abordé lors de cet entretien ?

Par mes activités à l’IRD, j’ai réussi à combiner plusieurs passions, mon métier et un pays qui me fascine, l’Inde.


L’IRD, dont la vocation est de faire de la recherche pour les pays du Sud, offre la possibilité de s’expatrier et de développer des projets de coopération avec d'autres pays, ce que j’ai fait pu faire en 2003, 2006 et pendant deux ans entre 2007 et 2009. L’idée d’être utile à d’autres pays qui en ont besoin me plaît. Mon métier m’a permis de découvrir davantage l’Inde, un pays que je connaissais un peu et qui m’a beaucoup marqué et charmé par ses gens, ses couleurs, et que j’aime particulièrement.



Notes :

1. L'oscillation de Madden-Julian est une phénomène météorologique important qui influence les pluies, la distribution des cyclones dans les tropiques, et qui a même des conséquences sur la météorologie sur l'Atlantique Nord. L'océan Indien est le lieu d'un phénomène analogue à El Niño qui modifie parfois pendant de longs mois le contenu de chaleur dans la région où nous avons effectué Cirene, ce qui a de multiples conséquences climatiques.

2. On appelle variabilité interannuelle les phénomènes revenant tous les deux à cinq ans et qui ont des durées caractéristiques de six à douze mois tels que El Niño (dans le Pacifique), le dipôle de l'océan Indien (dans l'océan Indien). C'est ce dernier qui avait créé des conditions exceptionnelles en janvier 2007 pendant la campagne Cirene.



Liens



L'équipe de la campagne Cirene à bord du Suroît

 


Entretien fait à Paris, le 14 décembre 2010

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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