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Florence HABETS

Florence Habets, racontez-nous votre parcours pour devenir chercheure...

Je suis directrice de recherche au CNRS, hydrogéologue : je travaille à METIS  (NDR : depuis l'ITW, Florence Habets a quitté l'UMR METIS pour rejoindre l'équipe Surface du LG ENS associée à l'IPSL) sur les eaux souterraines mais je suis météorologue de formation. J’ai suivi mes études à Nice et, après avoir eu mon DEUG de mathématiques, j’ai intégré une maîtrise de physique option météorologie à Toulouse. J’ai ensuite fait mon stage de DEA au Centre National de Recherches Météorologiques  à Météo-France avec  Joël Noilhan avec qui j’ai continué à travailler jusqu’à l’obtention de ma thèse en 1998, avec l’idée de faire de l’hydro-météorologie. L’objet de ma thèse était la vérification de la consistance entre les flux hydrologiques calculés par les modèles météorologiques (jusque-là négligés) avec les débits mesurés dans les bassins versants.


Après ma thèse, je suis allée à Princeton aux Etats-Unis en post-doctorat pendant un an où j’ai travaillé avec Eric Wood sur l’établissement du projet NLDAS qui consiste à créer une ré-analyse hydrométéorologique à l’échelle des USA avec une approche multi-modèle. Mais la première étape, la constitution d’un forçage atmosphérique de bonne qualité, avait pris du retard. Du coup, j’ai eu l’opportunité de travailler à l’université de Washington à Seattle avec Dennis Lettenmaier sur l’hydrologie globale. Là, je me suis rendu compte que l’échelle globale n’était pas faite pour moi : pas assez de données pour contraindre les flux, trop d’incertitudes. Mais, après près de 20 ans, je constate avec plaisir que de gros progrès ont été faits sur ce domaine.


En 1999 j’ai tenté le concours chercheur au CNRS pour la seconde fois, je l’ai eu ! Après mon post-doctorat, j’ai intégré le CNRM à Toulouse en tant que chercheur CNRS. En 2005, pour des raisons familiales, je suis partie travailler à Mines-Paristech à Fontainebleau qui était alors encore rattachée à Sisyphe, maintenant devenu METIS, et je suis venue travailler à Jussieu en 2013.


Florence HABETS



En quoi consiste votre travail ?

Quand j’étais en stage à Météo-France, j’ai travaillé au développement d’un système d’hydro-météorologie sur la France (SAFRAN-ISBA-MODCOU) (voir http://www.drias-climat.fr/accompagnement/sections/165 et http://www.umr-cnrm.fr/spip.php?article424 ) qui permettait d’analyser en temps réel les ressources en eau, c’est-à-dire surtout les contenus en eau et les débits, ainsi que les nappes sur quelques bassins versants. Ce système est passé en opérationnel  en 2003, au moment d’une crue majeure du Rhône et de la création du SCHAPI (service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations). Parallèlement, nous faisions des prévisions en utilisant l’analyse temps réel comme conditions initiales, et en utilisant directement les prévisions météorologiques, avec juste un simple débiaisage des précipitations. Nous avons également réalisé les premières études d’impact du changement climatique sur les ressources en eau, d’abord à l’échelle de bassins (Rhône, Garonne), puis à l’échelle nationale, notamment avec le CERFACS . Nos premiers résultats sur l’Adour-Garonne en 2003 y estimaient une diminution de l’ordre de 10 à 20 % ce qui paraissait beaucoup à l’époque (alors que depuis les projections CMIP3 , les diminutions projetées atteignent facilement le double), tant et si bien que l’agence de l’eau de la Garonne, qui finançait ce travail, a eu du mal à nous croire quand nous leur avons présenté les résultats de notre étude !  


Lorsque je travaillais à l’Ecole des Mines (en 2005), j’ai commencé à étudier la question de la qualité des eaux qui n’était pas abordée à Météo-France. En particulier la pollution diffuse d’origine agricole et les impacts de cette pollution sur les nappes. Nous collaborions alors beaucoup avec les agronomes qui eux, travaillent à l’échelle de la parcelle, en particulier dans le cadre du programme PIREN Seine . Les agronomes calculent aussi des flux en surface, mais de manière différente des hydrologues et des atmosphériciens. Ils s’intéressent également au temps nécessaire pour retourner à une bonne qualité des eaux. C’est donc très important de travailler avec eux pour améliorer nos modèles et tenir compte des activités agricoles, du déficit en azote qu’on associe au cycle du carbone, autant de spécificités que les agronomes prenaient déjà en compte dans leurs modèles, contrairement aux hydrologues.



Des rencontres vous ont-elles inspiré dans votre choix professionnel ?

Il y a eu tout d'abord eu mon directeur de thèse, Joël Noilhan, malheureusement décédé il y a quelques années. C’était une personne remarquable et charismatique qui a réussi à créer une cohésion incroyable dans son équipe et motivait ses collègues comme personne. C’est le genre de rencontre professionnelle qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie.  


J’ai également rencontré Emmanuel Ledoux , hydrogéologue, lorsque je travaillais à l’école des Mines. C’est une personnalité très différente de Joël Noilhan qui, contrairement à Emmanuel Ledoux, avait sans doute une approche plus en lien avec l’industrie qu’avec l’environnement. J’ai beaucoup appris pendant cette collaboration sur cette autre facette de la ressource en eau et bien sûr, sur les outils de modélisations hydrogéologiques.


 

Quelle était votre première réussite scientifique ?

Ma première réussite scientifique, qui est en fait une réussite collective, est la mise en place de l’outil SIM (Safran-Isba-Modcou) mentionné précédemment. Or, la communauté hydrologique ne croyait pas à ce produit alors qu’il est maintenant très régulièrement utilisé pour alimenter les conditions initiales pour faire de la prévision, et que l’analyse SAFRAN est utilisée par une large communauté de chercheurs. SIM a permis de regrouper la communauté des hydrologues et météorologues qui était très éclatée, contrairement à celle du climat.


Je travaille aussi activement sur le projet Aqui-FR porté par les hydrogéologues, qui peut être considéré comme  une suite de SAFRAN-ISBA-MODCOU. Aqui-FR permettra d’avoir une vue beaucoup plus large de la situation hydrologique en France car il inclut un plus grand nombre d’aquifères ainsi que leur exploitation par les prélèvements. J'espère qu'il sera bientôt utilisé en temps réel pour disposer d’un suivi continu, ce qui permettra d’alimenter par exemple le bulletin national de situation hydrologique . Nous espérons pouvoir l’utiliser non seulement pour les prévisions, mais aussi pour l’adaptation au changement climatique.


C’est important pour moi que mes activités scientifiques aient des applications concrètes, et avec ces outils, il y a des liens clairs avec la société.



 



Qu’est-ce qui vous plaît dans la recherche ? Qu’est-ce qui vous motive ?

Ce qui me plaît dans la recherche, c’est surtout le côté opérationnel, c’est-à-dire de pouvoir donner des réponses à des questions que se posent les gens. Et bien sûr c’est aussi travailler avec des gens sympathiques avec une grande liberté de choix et d’action.



A l’inverse, qu’est-ce qui vous déplaît ?

Ce qui me déplaît le plus dans mon travail est le manque de temps car on est souvent éloigné de ce qu’on souhaiterait réellement faire par d’autres activités annexes, comme par exemple la gestion de projets, ou bien les évolutions techniques de l’informatique qui impliquent des remises à niveau très fréquentes et chronophages des logiciels.


Nous avons également peu de possibilité d’embaucher les collègues et c’est un vrai problème, tant pour nous en tant qu’équipe que pour eux en tant qu’individus.


Il me semble aussi que nous, chercheurs, n’avons pas réussi à transmettre les informations sur les impacts du changement climatique sur les ressources en eau, ou alors, avec beaucoup de retard. Au début, nous communiquions vers les institutions (ministères, agences de l’eau) mais j’ai l’impression qu'il est plus efficace de s’adresser directement aux ingénieurs et techniciens en charge de décisions et de dialoguer directement au public. J’espère que cela va vite changer, notamment grâce aux services climatiques, mais aussi, par une implication plus forte « sur le terrain », cela demande beaucoup de temps…



 



Quelles qualités faut-il avoir pour bien travailler dans la recherche ?

Il faut de la persévérance car il y a beaucoup de précarité dans la recherche, beaucoup plus que pour les jeunes embauchés à mon époque. Il faut être motivé et continuer à y croire. Il faut aussi être ouvert aux autres thématiques, être capable de s’adapter et d’écouter, prendre le temps de s’imprégner de connaissances dans des domaines différents, car on s’intéresse à des sujets pluridisciplinaires par nature..


 

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui hésite à se lancer dans la recherche ?

Je  pense qu’il devra aller vers ce qui lui plaît et être un peu insouciant, quelque part. C’est un métier riche, avec des contacts très divers et nombreux, et dans des domaines variés. Il/elle ne devra pas avoir peur de changer de poste, et de faire plusieurs post-doc avant de trouver un poste, mais ce n’est pas forcément facile de construire son projet et de valoriser son travail dans ce contexte… Ou alors il faudra aller à l’étranger ou la précarité est en général plus supportable qu’en France (grâce à des contrats plus longs ou plus facilement renouvelables).


 

Que feriez-vous si vous n’étiez pas chercheure ?

Après ma thèse je voulais partir aux USA pour peaufiner mon anglais, puis faire de l’informatique de gestion pour avoir de l’argent et devenir professeure de télémark l’hiver et restauratrice l’été. C’était une utopie bien sûr, et tout s’est passé différemment, bien entendu !


Si je n’étais pas chercheure, je ferais du happening, des spectacles de rue même si je ne suis pas particulièrement douée pour cela. J’aime beaucoup cette idée de mettre les gens en situation et de créer du lien de cette façon avec eux.



Quelle est votre occupation en dehors du travail ?

La course à pied ! Je fais partie d’un club où je retrouve des personnes d’horizons totalement différents du mien. Ensemble, nous participons à des marathons festifs comme le Marathon du Médoc. C’est d’ailleurs lors d’un de ces marathons que j’ai découvert le Saint-Estèphe…. Je suis également très fan du semi-marathon de Nuit Saint-Georges où on gagne une entrée pour la dégustation des caves. En plus il y a un lien direct avec l’hydrologie, je m’y retrouve !



En conclusion...

Je suis ravie que METIS ait rejoint l’IPSL. J’ai notamment eu l’opportunité de rejoindre la cellule services climatiques du Labex L-IPSL et je me suis impliquée dans un projet lié à l’hydrologie au 20e siècle. L’analyse du passé est intéressante, elle a permis de se rendre compte notamment de la variabilité des débits des grands fleuves français qui est d’environ 30% et qui est due à des variabilités de l’océan Atlantique. Cette variabilité de 30% est à mettre en rapport avec une diminution des débits qui atteindrait jusqu’à 40% en raison du changement climatique. Ainsi, même si on s’attend à une diminution de la ressource en eau, on pourrait assister à des augmentations temporaires dues à cette variabilité. En tout cas, le lien avec l’IPSL est ici bien réel.


 

Lors de la première conférence internationale "Impact of Groundwater in Earth system Models" à l'UPMC, Paris, Octobre 2016



NB :  Depuis cet entretien Florence Habets a été nommée en mars 2017 Présidente du conseil scientifique du comité de bassin Seine - Normandie


 

Entretien fait à Paris en 2016

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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