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Christof JANSSEN

Christof Janssen est chercheur au LPMAA. Son intérêt pour la nature et les sciences et son envie de savoir l'ont conduit à soutenir sa thèse sur l'isotopie de l'ozone en 1999, au Max-Planck Institut, en Allemagne. Après plusieurs années de post-doctorat dans son pays, il se présente au concours CNRS en tant que chercheur étranger et obtient un poste au LPMAA en 2006. Il y étudie le lien entre la physique et l'environnement à travers les molécules d'ozone, en mesurant leur impact sur l'atmosphère et le climat.



Christof Janssen, après avoir fait vos études en Allemagne, vous êtes devenu chercheur au CNRS. Racontez-nous votre parcours.

J'ai toujours été attiré par la nature et les sciences en général. Les arcs-en-ciel, le monde des atomes, l’astrophysique..., tout cela m'intéressait beaucoup étant jeune. Je ne savais pas que j’allais faire de la recherche mais j’étais poussé par une grande curiosité et l’envie de savoir.


Après avoir obtenu l’équivalent du baccalauréat en Allemagne, j’ai commencé des études de physique à l’université d’Heidelberg. Au bout de 3 ans, j’ai obtenu l’équivalent de la licence et je suis parti étudier un an en Floride avant tout parce que je voulais parler Anglais correctement. J’y ai étudié la physique des solides et la relativité générale. La relation professeurs-étudiants y était très intéressante : il y avait environ un professeur pour quinze élèves par cours et les étudiants étaient vraiment considérés en tant qu’individus, ce qui n’était pas le cas en Allemagne.


De retour en Allemagne, j’ai obtenu un « Diplom », l’équivalent d’un Master en France, et j’ai présenté un mémoire en spectroscopie atmosphérique pour mesurer la composition des gaz dans la troposphère.


J’ai poursuivi par une thèse sur l’isotopie de l’ozone que j’ai commencée en 1996 dans l’équipe de Konrad Mauersberger (au Max-Planck Institut à Heildelberg) et que j’ai soutenue en 1999. J'ai ensuite travaillé jusqu'à 2006 comme post-doctorant en Allemagne, en passant entre-temps mon Habilitation à diriger des recherches en 2004.


Etant donné qu’il y a très peu de postes de chercheurs dans le secteur public en Allemagne, j’ai postulé au concours de chercheur étranger du CNRS et j’ai intégré le LPMAA fin 2006. Au moment où j’ai passé le concours, je ne travaillais pas encore avec le LPMAA mais je connaissais bien ce laboratoire pour avoir lu beaucoup d’articles scientifiques en spectroscopie de l’ozone, de Claude Camy-Peyret notamment. Nous sommes entrés en contact et je lui ai proposé de me joindre à son équipe. Il m’a incité à passer le concours CNRS et me voilà !


Christof Janssen


Des rencontres vous ont-elles inspiré dans votre choix professionnel ?

Konrad Mauersberger, mon directeur de thèse, était passionné par la recherche et laissait beaucoup de libertés et d’initiatives à ses étudiants. Il avait une façon de travailler originale et a apporté un esprit nouveau en laissant une large place aux questions. Konrad Mauersberger est un scientifique Allemand qui a vécu 30 ans aux USA et y a enseigné. Il est revenu au Max-Planck Institut für Kernphysik dans les années 1990 et y a créé un groupe de recherche sur la molécule de l’ozone. Il a découvert un effet isotopique assez étrange qui me fascinait. C’est comme cela que j’ai intégré son équipe, en tant que thésard, en 1996.


En quoi consiste votre travail ?

J’étudie essentiellement le lien entre la physique et l’environnement à travers les molécules d’ozone, en mesurant leur impact sur l’atmosphère et le climat.


L’étude de la molécule d’ozone est un sujet qui s’est bien développé depuis les années 1970-1980 grâce aux travaux de Paul Crutzen 1 et à la publication de Joseph Farman 2 mais beaucoup d’incertitudes demeurent encore. L’étude de l’ozone sert à comprendre la formation du trou dans la couche d’ozone et à mesurer précisément certains paramètres moléculaires (intensité, largeur de raie...). J’analyse l’ozone par spectroscopie de masse en séparant les isotopes et en étudiant la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. La composition isotopique apporte une dimension complémentaire à la chimie. J’étudie en fait un ensemble de systèmes complexes et dynamiques qui sont sous l’influence de divers processus, telles que la vitesse de réaction des molécules et la façon dont l’ozone absorbe les photons. J’étudie en particulier actuellement le lien entre l’ozone et le CO2.


Mon travail est assez expérimental, j’étudie les processus chimiques en créant des expériences de laboratoire, en utilisant des lasers, un spectromètre de masse pour étudier la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre, des interféromètres, des tables optiques, des lampes pour initier des réactions photochimiques comme dans l’atmosphère. Cet aspect de mon travail me plaît beaucoup bien que j’aime aussi le challenge intellectuel.


Christof et le spectromètre de masse en jet moléculaire du LPMAA



Je ne fais pas d’enseignement mais je participe, en tant qu’enseignant, à des écoles d’été. Je dirige aussi des thèses. J’ai toujours eu envie de faire de l’enseignement mais il me serait trop difficile de m’exprimer en Français dans des cours car je ne maîtrise pas assez bien la langue. Par contre, je ferais volontiers de l’enseignement dans le cadre d’un master européen où je pourrais m’exprimer en Anglais.


Vous rappelez-vous de votre première réussite scientifique ?

C’est pendant mon Master que je me suis rendu compte que je pouvais trouver de nouveaux résultats en analysant mes données et montrer la corrélation entre différentes espèces atmosphériques. Le fait que je découvre de nouveaux résultats d’après mon propre travail, et non plus d’après le travail des autres comme je l’avais fait jusqu’alors, et de pouvoir les publier, a été une étape très importante pour moi, tant sur le plan personnel que professionnel.


Qu’est-ce qui vous motive dans votre métier ?

C’est avant tout la curiosité, qui m’a déjà poussé très jeune à vouloir en savoir toujours plus.


L’échange avec les chercheurs d’autres domaines est très important car il élargit les connaissances et les investigations possibles. Je travaille beaucoup avec les étudiants en stage et en thèse, ces relations me plaisent particulièrement car elles mènent à un travail de réflexion réciproque très enrichissant.


Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier que ne voudriez pas changer ?

Au niveau international, le monde de la recherche offre la possibilité d’apprendre beaucoup sur d’autres cultures et de découvrir chez nos collègues étrangers des approches de travail différentes. C’est un vrai plus pour la créativité et cela me plaît énormément, même s’il y a parfois des inconvénients à devoir se déplacer souvent et loin.


L’inattendu est aussi très motivant. Dans mon cas, je n’aurais jamais penser travailler et vivre en France quand je faisais mes études. Je pensais travailler à l’étranger, mais plutôt dans un pays anglo-saxon du fait que je maîtrisais la langue.


Spectromètre à diode laser avec bâti à vide en verre pour l'acquisition de spectres moléculaires à très haute résolution


 

Qu’est-ce qui vous déplaît dans notre métier ?

La recherche est de plus en plus quantifiée : il y a une tendance à ne plus mesurer la qualité en premier lieu, mais la quantité. Les chercheurs doivent publier toujours plus, au détriment de la qualité. Il m’est arrivé de lire des revues contenant des erreurs que les rédacteurs d’articles n’ont pas pris le temps de corriger par manque de temps, et que les relecteurs n’ont pas décelées non plus. Pour moi, le système crée un véritable gaspillage au niveau de la créativité.


Bien sûr, la gestion de la recherche nous demande de plus en plus de temps et je me retrouve malheureusement beaucoup plus souvent que je ne le souhaite devant des papiers administratifs pour faire des demandes de financement ou pour rédiger des rapports, que devant mes expériences en laboratoire !


La qualité pâtit forcément de tout cela, notamment au niveau du savoir : j’ai parfois l’impression que je n’arrive pas à apprendre plus, ce qui est dommage pour un chercheur, le savoir étant quand même sa première motivation.


D’après vous, quelles qualités doit avoir un bon chercheur ?

Je pense qu’un bon chercheur doit être avant tout curieux, pour trouver de nouvelles pistes et aboutir à des résultats, mais il doit aussi être tenace, pour se donner les moyens d’atteindre ces résultats.

 

 

Ozone liquide produite au LPMAA

Si vous ne deviez donner qu’un conseil à un jeune qui hésite à se lancer dans la recherche, ce serait quoi ?

Si c’est une personne qui a les qualités que je viens de citer et si je crois qu’elle a les capacités de devenir chercheur, je l’inciterai à aller dans cette voie. Je pense qu’il faut suivre ses envies car on fera alors ce qu’il y a de mieux pour atteindre son but, même si ce n’est pas simple. Je ne connais pas de chercheur dont le parcours a toujours été facile et linéaire. Moi-même, je ne pensais pas un jour venir travailler en France. Mon domaine d’études m’y a poussé car c’est en France que se faisait la recherche en spectroscopie. Il y a donc eu une logique entre mon domaine d’étude et la direction que je devais prendre.




Que feriez-vous si vous n’étiez pas chercheur ?

Je serais certainement enseignant car j’ai toujours aimé travailler avec les enfants et les étudiants. Avant de devenir chercheur, je me suis posé la question au niveau de ma carrière et j’aurais pu devenir enseignant en Allemagne si je n’avais pas trouvé d’opportunité en France.


En dehors du travail quelle est votre occupation préférée ?

En dehors du travail, ma priorité est ma famille, avec laquelle j'essaie d'être le plus proche possible grâce à un bon équilibre familial, ce à quoi je parviens à travers un grand nombre d’activités en contact avec la nature, comme la randonnée, la planche à voile, le ski...


Souhaitez-vous ajouter un point de vue personnel ?

La multidisciplinarité est un élément moteur du métier de chercheur. Elle crée des rencontres toujours très intéressantes à travers des personnalités et des esprits différents, des idées nouvelles, des compétences nouvelles. Personnellement, je trouve fascinant et motivant de travailler avec les personnes qui participent à l’avancée des connaissances, qu’il s’agisse de chercheurs, d’ingénieurs ou d’étudiants.



Notes

1. Crutzen, P. J., 1970: The influence of nitrogen oxides on the atmospheric ozone content. Q. J. R. Meteorol. Soc., 96, 320-325.

2. Farman, J. C.; Gardiner, B. G.; Shanklin, J. D. Nature 1985, 315, 207–210, http://www.nature.com/nature/journal/v315/n6016/abs/315207a0.html



Entretien fait à Paris, en octobre 2012

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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