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Cathy CLERBAUX

Cathy Clerbaux est directeur de recherche CNRS au LATMOS. Elle a soutenu sa thèse de physique en spectroscopie en 1993 à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et a obtenu un poste de chercheure CNRS au Service d'Aéronomie en 1995. Elle consacre une grande partie de son travail à la mission de sondage atmosphérique IASI/MetOp et coordonne le projet ESPRI de l'IPSL. Depuis une dizaine d'années, elle partage ses activités entre le LATMOS et l'ULB.



Cathy Clerbaux, comment êtes-vous devenue directeur de recherche au LATMOS ?

En sortant de l’école, j’étais indécise sur les études que je voulais entreprendre. Comme à l’époque j’étais très attirée par les étoiles et les planètes, j’ai choisi de faire des études de physique à l’Université Libre de Bruxelles. J’ai ensuite poursuivi par une thèse dans le domaine de la spectroscopie, je l'ai soutenue en 1993.


Au cours de ma thèse, j’ai rapidement trouvé mon domaine de recherche trop « déconnecté » de la vie réelle et je trouvais difficile de ne pas pouvoir expliquer mes travaux aux autres. Je me suis alors dirigée vers la spectroscopie appliquée aux mesures de la composition atmosphérique. Après ma thèse, j’ai obtenu une bourse CNES de post-doctorante grâce à Gérard Mégie , pour préparer la mission satellite IASI/MetOp au Service d’Aéronomie (1) . Ce travail permettait une application concrète de la spectroscopie aux mesures atmosphériques.


Au bout de deux ans de post-doctorat, en 1995, je me suis présentée au concours chercheurs du CNRS et j’ai eu la chance d’avoir un poste. Je pense que j’avais un atout par rapport aux candidats français car, en Belgique, la bourse de thèse doit être renouvelée chaque année en passant une audition orale et j’avais donc déjà une certaine habitude de cet exercice. De plus, en Belgique on nous incitait à publier beaucoup pendant les quatre ans de thèse car il est encore plus difficile qu’en France d’avoir un poste dans la recherche. Je suis entrée au Service d’Aéronomie (SA) en 1995. Après une dizaine d’années passées au SA, j’ai commencé une collaboration avec l'Université Libre de Bruxelles et depuis, je partage mes activités entre les deux laboratoires.

Cathy Clerbaux



En quoi consiste votre travail ?

Avec mon équipe, nous analysons des données satellite pour étudier la composition de l’atmosphère et surveiller son évolution. Nous travaillons en particulier sur la mission IASI, un instrument qui vole depuis cinq ans sur une plate-forme météorologique. Nous recevons quotidiennement les données envoyées par le satellite, dont nous déduisons les concentrations de gaz atmosphériques.


Concrètement, ces données permettent de mesurer les gaz liés à la pollution, comme l’ozone, l’ammoniac ou le monoxyde de carbone, ainsi que les principaux gaz à effet de serre. Nous traitons en temps réel les données reçues depuis une antenne de réception installée sur le toit de l’Université Pierre et Marie Curie sur le campus Jussieu, à Paris. Ces observations peuvent être exploitées soit pour faire des études sur la surveillance à long terme des gaz, soit pour analyser le déplacement des polluants à l’échelle des pays, des continents ou du globe, ou encore pour générer des alertes en cas d’évènements plus ponctuels. Par exemple dans le cas de grands feux, comme lors des feux qui ont ravagé les alentours de Moscou en août 2010, ou lors d’éruptions volcaniques, comme celle du volcan islandais EyjafJöll en mars 2010, où IASI avait fourni des mesures des panaches de cendres .


Nous avons développé un système d’alertes qui avertit par courrier électronique les centres responsables de la surveillance aéronautique qu'une éruption s'est produite, quand le sondeur IASI observe des concentrations en dioxyde de soufre anormales. J’en profite d’ailleurs pour remercier mes collègues de leur grande disponibilité, car la chaîne de traitement doit être surveillée le dimanche aussi !


IASI, c’est environ un million d’observations par jour. Pour les traiter efficacement il faut pouvoir compter sur des moyens informatiques et humains, et c’est la même chose pour d’autres projets à l’IPSL, qui sont basés sur l’utilisation de grands jeux de données. Le projet ESPRI (Ensemble de Services Pour la Recherche à l'IPSL) de l'IPSL, que je coordonne, permet de déterminer les priorités, de fédérer les moyens de chaque laboratoire pour acquérir du matériel de calcul performant et de créer une dynamique entre ceux qui réalisent des modèles et ceux qui travaillent à partir des observations.



Distribution d'ammoniac mesurée par l'instrument IASI/MetOp en 2008. Les couleurs jaunes à rouges indiquent les régions avec de fortes concentrations d'ammoniac, les structures blanches sont des nuages.



Quelle a été votre première expérience scientifique ?

C’est une question à laquelle je ne sais pas vraiment répondre car je ne considère pas avoir eu une première expérience scientifique. J’ai tout de suite apprécié le fait que la recherche évolue en permanence. Mon activité actuelle est l’évolution de ce que je faisais à mes débuts de chercheure, même si elle est assez différente de ce que je faisais il y a quinze ans dans le domaine spatial.



Vous travaillez dans deux laboratoires, au LATMOS, à Paris et au Laboratoire de Chimie Quantique et Photophysique, à l’Université Libre de Bruxelles. Comment gérez-vous au quotidien le fait de travailler dans deux entités différentes ? Les deux laboratoires collaborent-ils ?

En effet, depuis une dizaine d’années, je partage mes activités à mi-temps entre le SA, devenu entretemps le LATMOS, et l’ULB, où j’ai fait ma thèse et où j’enseigne. J’y dirige, avec un autre collègue belge, une équipe d’une dizaine de personnes, des ingénieurs, des thésards et des post-doctorants. Je travaille sur le même sujet en France et en Belgique et mes collègues des deux laboratoires collaborent, la plupart de nos résultats sont partagés. Mon emploi du temps varie chaque semaine. Il est rythmé par les réunions (principalement à Paris), les enseignements (plutôt à Bruxelles) et les missions à l'étranger. En général, je passe un jour sur deux à Paris.



Des rencontres ont-elles orienté votre choix professionnel ?

Ma rencontre avec Gérard Mégie, lors d’une école d’été en 1990, a été décisive, au moment où je commençais tout juste à travailler sur ma thèse. Gérard Mégie était alors directeur adjoint du Service d’Aéronomie. Je me suis très vite rendue compte quel bon scientifique, mais aussi quel visionnaire, Gérard Mégie était. C’était une personne brillante qui avait plein d’idées et qui voyait très clairement les sujets porteurs, les choix importants à faire et les pistes à favoriser pour avancer. Il me parlait de choses dont ni moi, ni mes collègues n’avions entendu parler et qui se sont développées ensuite, comme par exemple, l’assimilation de données chimiques à l’image de ce qui est fait en météorologie. Les missions spatiales se font sur le long terme, il est donc important de bien anticiper et de planifier. Gérard faisait cela très bien. Cette rencontre a été déterminante dans le fait que je choisisse de faire carrière au SA.



Qu’es
t-ce qui vous motive dans votre métier ?

Le domaine de la recherche évolue constamment, la création y a beaucoup de place et cela me motive énormément. Je ne pourrai pas avoir un travail répétitif. En début de carrière on est plutôt chercheur de base puis, avec l’expérience, on s’investit de plus en plus dans l’encadrement, la mise en place de projets et la recherche de budgets, c’est très motivant.


J’aime aussi beaucoup travailler en équipe où chacun peut s’exprimer selon son caractère et ses compétences, chacun y a sa place à part entière. Et c’est la combinaison des compétences individuelles qui permet d’avancer sur les gros projets.


Concentrations élevées de monoxyde de carbone observées par l'instrument IASI lors des feux de Russie en août 2010.

 



Qu’aimeriez-vous changer dans votre métier ?

J'aimerais changer la lourdeur administrative du système de recherche qui me prend beaucoup trop de temps : il faut chercher les fonds, écrire des projets et des rapports pour avoir des contrats, c’est un travail énorme. Et le nombre de publications de l’équipe ne change pas grand-chose. Je pense qu’on devrait aller vers une simplification des procédures car le temps pris sur celui qu’on devrait consacrer à la recherche est trop important et préjudiciable à nos travaux. Je vous donne un exemple : quand on travaille sur une mission spatiale, on a la chance d’avoir beaucoup de soutien du CNES. Mais, pour obtenir une bourse de thèse entière, il faut trouver un co-financement entre le CNES et des industriels ou des petites compagnies impliquées dans l'environnement. Il faut donc orienter les sujets de thèses vers des thèmes susceptibles d’intéresser tous les partenaires. C’est compliqué et surtout long à mettre en place.



Que ne changeriez-vous pour rien au monde dans votre métier ?

En tant que chercheure dans le service public, ce à quoi je tiens le plus est la liberté associée à mon métier. Liberté de formater mon travail comme je le veux, aussi bien sur le plan organisationnel et intellectuel, liberté des horaires, liberté d’orienter mes recherches vers de nouveaux projets, liberté de choisir de travailler seule ou en équipe.



Selon vous, quelle qualité faut-il avoir pour faire ce métier ?

Il faut être très persévérant, ne pas lâcher et savoir distinguer les pistes prometteuses pour faire évoluer la recherche et trouver les budgets nécessaires. En ce qui me concerne, travailler sur des satellites se fait sur le long terme et j’ai dû apprendre à être patiente, ce que je ne suis pas du tout par ailleurs!



Donneriez-vous un conseil à un jeune qui souhaite s’orienter dans la recherche ?

Dès le départ, il faut faire ce qu’on aime. Mais il faut aussi bien choisir sa voie en multipliant les rencontres avec les chercheurs de domaines différents, et en évaluant les perspectives du domaine de recherche dans lequel on évolue. Je pense que trop de jeunes s’enferment dans un domaine pointu duquel ils ont du mal à sortir. Il est difficile de décrocher un poste fixe, mais si la personne est assez motivée et flexible, elle pourra y parvenir en frappant aux bonnes portes. Pour avoir un poste j’ai changé de pays et fait évoluer mon domaine de recherche vers le spatial qui offrait plus de possibilités.



Si vous n’étiez pas chercheure, que seriez-vous ?

Je ne sais pas, je serais sans doute dans un métier lié à la communication ou à la politique. J’ai toujours envie de faire un tas de choses, mais je manque de temps car la vie de chercheur est un métier très prenant qui laisse peu de temps à côté. Je ne me vois pas « vieille chercheuse » mais, à 30 ans, je disais que je ne serais plus chercheuse à 45 ans. On verra plus tard !



Souhaitez-vous ajouter un point de vue personnel à ce portrait ?

Je pense que les chercheurs devraient communiquer davantage autour de leur travail, pour faire connaître leurs recherches et sensibiliser le public et les jeunes afin de leur donner goût aux sciences. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté de faire ce portrait. Je revendique toujours le fait qu’il faut communiquer, je ne pouvais donc pas refuser cette proposition !



Note

(1) En s'associant au Centre d'Etude des Environnements Terrestre et Planétaires (CETP), le Service d'Aéronomie est devenu le LATMOS en 2009.



Entretien fait à Paris, le 9 septembre 2011

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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