Accueil > Actualités > Actualités scientifiques > Les océans ont absorbé 60% de chaleur en plus qu'on ne le pensait

Un nouveau thermomètre océanique montre que les océans ont absorbé 60% de chaleur en plus qu'on ne le pensait

02-11-2018

Les océans absorbent chaque année plus de 90% de l’énergie excédentaire produite par l’augmentation de l’effet de serre et modulent donc la vitesse à laquelle l’atmosphère se réchauffe.  Une estimation précise de la quantité d’énergie absorbée par les océans permet de mieux contraindre le réchauffement de surface auquel on peut s'attendre au cours des prochaines décennies. En utilisant une méthode innovante pour estimer le contenu thermique de l’océan, une équipe internationale impliquant l’Université de Princeton et le CNRS vient de réévaluer de 60 % les estimations précédentes du GIEC. Ces nouveaux résultats indiquent que, pour être compatibles avec un réchauffement climatique de 2°C, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites par rapport aux estimations précédentes. Ce travail vient d’être publié dans la revue Nature du 1er novembre 2018.

Cette estimation de l’évolution du contenu thermique de l’océan est réalisée de façon classique à partir de millions de mesures ponctuelles de la température de l'océan, qui sont interpolées pour calculer le contenu calorifique total. Des lacunes dans la couverture spatiale et temporelle rendent toutefois cette approche incertaine. Un réseau de bouées autonomes, le réseau Argo, effectue des mesures systématiques de la température et de la salinité des océans à travers le monde, mais le réseau ne dispose de données complètes qu’à partir de 2007 et ne mesure que les premiers 2000 mètres de l’océan.  


Dans un article publié le 1er Novembre par la revue Nature, une équipe internationale pilotée par Laure Resplandy (Université de Princeton, USA) et à laquelle participe Laurent Bopp (LMD-IPSL, CNRS / Ecole Normale Supérieure / Sorbonne Université / Ecole polytechnique) propose d’utiliser une méthode innovante pour estimer l’évolution du contenu thermique de l’océan. Cette nouvelle méthode repose sur l’exploitation de mesures haute-précision des concentrations atmosphériques de di-oxygène et de dioxyde de carbone, disponibles grâce au réseau de stations de mesures de la composition de l’atmosphère de la Scripps Institution of Oceanography (San Diego). En combinant O2 et CO2 de l’air,  les auteurs définissent une quantité qu’ils appellent APO pour « Atmospheric Potentiel Oxygen », qui augmente lorsque l’océan se réchauffe et que la solubilité des gaz diminue dans la couche de surface. En cas de réchauffement, ces gaz ont tendance à être libérés dans l’atmosphère, réservoir bien mélangé qui intègre ces changements dans le temps et qui témoigne donc de l’augmentation du contenu thermique de l’océan.


En utilisant cette méthode, les auteurs ont montré que l’océan avait absorbé plus de 13 zettajoules (1021 J) par an, entre 1991 et 2016. Cette estimation est supérieure de près de 60% à celle publiée dans le dernier rapport du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) en 2013. Cette nouvelle estimation est d’ailleurs en phase avec certaines des réévaluations effectuées ces dernières années à l’aide des données Argo qui avaient déjà conduit à une révision à la hausse de l’estimation du GIEC.


Mais surtout, cette nouvelle estimation, basée sur une méthode indépendante des précédentes, augmente fortement la confiance que nous avons dans les estimations du réchauffement océanique.  Elle contribue ainsi à réduire les incertitudes sur la sensibilité climatique, paramètre clé qui permet d’estimer les émissions de dioxyde de carbone compatibles avec un objectif de limitation du réchauffement global. En particulier, ces nouveaux résultats éliminent la possibilité d'une très faible sensibilité climatique, et indiquent donc que les émissions de CO2 compatibles avec un réchauffement de 2°C doivent être réduites par rapport aux estimations précédentes.


Changement du contenu calorifique de l’océan entre 1991 et 2016, estimé à partir de mesures hydrographiques (PMEL, Chen, NCEI, MRI) et à partir de mesures atmosphériques de O2 et CO2 (APOclim, cette étude). La tendance moyenne par an sur les périodes 1991-2016, 1993-2016 ou 2007-2016, pour les différentes méthodes sont indiquées sur la droite.



Source

Resplandy, L., R. Keeling, Y. Eddebbar, M. Brooks, R. Wang, L. Bopp, M. C. Long, J. P. Dunne, W. Koeve, and A. Oschlies (2018), Quantification of ocean heat uptake from changes in atmospheric O2 and CO2 composition, Nature, https://doi.org/10.1038/s41586-018-0651-8 .



Contact

Laurent Bopp , chercheur CNRS au LMD, Tél. : 01 44 32 22 30

Retour à la liste actualités scientifiques