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Le renouvellement de l’océan profond contraint par la forme du relief sous-marin

10-11-2017

L’océan profond est un immense réservoir de carbone, de chaleur et de nutriments dont le renouvellement conditionne l’influence de l’océan sur les variations lentes du climat. Une équipe de chercheurs français  1 , australiens et suédois vient de démontrer que la distribution verticale du plancher océanique permet, à elle seule, de prédire le mouvement et donc le renouvellement des eaux profondes des bassins Pacifique, Indien et Atlantique. Ces eaux y progressent vers le nord à plus de 4 km de profondeur, puis retournent vers le sud à plus de 2,5 km de profondeur, avec pour conséquence la formation entre 1 et 2,5 km de profondeur d’un réservoir isolé d’eaux quasi-stagnantes dans les océans Pacifique et Indien. Cette meilleure connaissance de la circulation océanique profonde devrait permettre de mieux comprendre et quantifier l’influence de l’océan profond sur les transitions climatiques passées et à venir.

Les océanographes savent que les plus grandes profondeurs de l’océan mondial sont alimentées par des eaux particulièrement froides (moins de 2°C) et denses formées au contact de l’air polaire et de la glace autour du continent antarctique. Ces eaux antarctiques plongent sous leur propre poids et serpentent le long du plancher océanique à des profondeurs dépassant 4 km. Mais le devenir de ces eaux denses reste beaucoup plus mystérieux. Comment et où ressortent-elles des abysses océaniques ? Comment rejoignent-elles la surface, refermant ainsi la boucle de leur circulation ?

L’étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature fait un pas important vers la complétion de cette boucle. Les auteurs y montrent que le chemin suivi par les eaux profondes est fondamentalement lié à la forme du plancher océanique. Une cartographie de la profondeur d’un bassin océanique fournit ainsi un moyen direct de prédire le mouvement des eaux denses à l’échelle du bassin.

Pour remonter vers la surface, les eaux profondes doivent devenir plus légères. Cet allégement a lieu principalement le long du fond de l’océan : c’est là où la chaleur provenant de l’intérieur de la Terre pénètre dans l’océan, et surtout où la turbulence qui mélange les eaux denses avec des eaux plus légères est la plus énergique. En conséquence, les eaux qui sont en contact avec une plus grande surface de fond marin remontent plus rapidement. Les cartes du relief sous-marin montrent qu’une grande partie du plancher océanique se trouve à environ 4 km de profondeur, tandis qu’une petite fraction seulement se situe entre 1 et 2,5 km sous la surface. L’ascendance la plus rapide doit donc se situer à environ 4 km de profondeur, tandis qu’au-dessus de 2,5 km la remontée doit être nettement plus faible.


Schéma simplifié de la circulation des eaux denses dans l’océan Pacifique, illustrant son lien avec le relief. Les eaux denses originaires de l’Antarctique progressent vers le nord à plus de 4 km de profondeur, remontent le long du plancher océanique, et repartent vers le sud à plus de 2,5 km de profondeur. Cette circulation laisse un réservoir isolé aux mi-profondeurs (entre 1 et 2,5 km) abritant les eaux les plus vieilles de l’océan mondial.



Considérons les eaux denses progressant de l’Antarctique vers l’océan Pacifique. Elles vont cheminer vers le nord aux plus grandes profondeurs, être efficacement allégées et ainsi élevées aux alentours de 4 km de profondeur, puis retourner vers le sud à plus de 2,5 km de profondeur, car incapables de remonter davantage dans la colonne d’eau. Cet itinéraire a une conséquence surprenante pour les eaux situées entre 1 et 2,5 km de profondeur. Dans l’océan Atlantique, cette couche de mi-profondeur est alimentée par des eaux denses formées autour du Groenland. Mais dans les océans Indien et Pacifique, elle s’avère isolée du mouvement global des eaux denses. Un large réservoir quasi stagnant et peu renouvelé occupe donc les mi-profondeurs des bassins Indien et Pacifique.

Les auteurs ont cherché à corroborer ce résultat en examinant la concentration en carbone 14 (14C) de l’eau de mer. Le 14C est une forme instable du carbone souvent utilisée pour la datation : moindre est le contenu en 14C d’une substance, plus elle est âgée. Dans l’océan, de faibles concentrations signalent ainsi des eaux dites vieilles, c’est-à-dire séparées de l’atmosphère depuis longtemps.

L’équipe a analysé les données historiques de 14C dans l’océan profond et découvert une relation claire entre la distribution du plancher océanique et les concentrations en 14C : les plus basses concentrations se trouvent précisément dans la couche de mi-profondeur des océans Pacifique et Indien dont l’isolement avait été anticipé.


Carte mondiale du contenu en 14C de l’eau de mer à la profondeur de 2 km, construite à partir de l’ensemble des données historiques disponibles. Les eaux les plus vieilles se trouvent à cette profondeur dans l’océan Pacifique Nord. À 2 km de profondeur, l’océan Indien abrite aussi des eaux relativement isolées, tandis que l’océan Atlantique est alimenté par des eaux jeunes formées autour du Groenland.



Le lien fort identifié entre la forme du relief sous-marin et le mouvement des eaux profondes n’est pas une simple curiosité. Le rythme auquel – et les chemins par lesquels – l’océan profond est renouvelé détermine la quantité de chaleur, de carbone et de nutriments que cet immense volume d’eau est capable de stocker. Une meilleure connaissance du parcours des eaux denses fournit donc de nouvelles contraintes pour quantifier le piégeage de dioxyde de carbone et de chaleur dans les couches profondes de l’océan au cours des siècles à venir.


Ces résultats peuvent aussi aider à comprendre le rôle de l’océan dans les transitions climatiques passées. Puisque l’argument repose essentiellement sur la connaissance du relief, il est également applicable aux climats du passé, pourvu que les géologues disposent d’une cartographie suffisamment précise des profondeurs océaniques. C’est notamment le cas des dix derniers millions d’années au cours desquels le relief sous-marin était très proche de l’actuel. Pendant cette période, le climat terrestre, les propriétés des eaux denses et leurs sources ont connu d’importantes variations, mais le circuit de renouvellement de l’océan profond est resté contraint par le relief.


Note : 

  1. du Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN/IPSL, UPMC / CNRS / MNHN / IRD)


Références : 

Casimir de Lavergne, Gurvan Madec, Fabien Roquet, Ryan M. Holmes et Trevor J. McDougall. Abyssal ocean overturning shaped by seafloor distribution. Nature, 8 novembre 2017.


Contacts :


Source : INSU

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