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La version 2020 de la base internationale SOCAT de CO2 océanique

16-06-2020

La dernière version de la base internationale de données SOCAT (Surface Ocean CO2 Atlas) a été rendue publique le 16 Juin 2020. Cette base, qui rassemble plus de 30 millions d’observations du dioxyde de carbone dans les eaux de surface de l’océan mondial, est le fruit d’une collaboration internationale initiée en 2007 (Metzl et al., 2007) et à laquelle participe le Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL / OSU Ecce Terra, SU / CNRS / MNHN / IRD).

L’océan, par sa capacité à absorber chaque année environ 25% des émissions anthropiques de CO2 et plus de 90% de la chaleur en excès, joue un rôle crucial pour réguler le changement climatique. Sur environ 675 PgC (Peta-gramme de Carbone) injectés par les activités humaines depuis 1750, on estime que l’océan en a absorbé 170 PgC (Friedlingstein et al, 2019), limitant l’impact des émissions de CO2 anthropique sur le changement climatique. Sans ce puits de carbone océanique, la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait aujourd’hui d’environ 495 ppm contre 410 ppm observée en moyenne globale en 2019. En 2020, et malgré la diminution ponctuelle d’émissions de CO2 liée au COVID-19 (de l’ordre de 4-7 %, Le Quéré et al., 2020), le CO2 atmosphérique continuera son inexorable augmentation (sans doute +2.5 ppm/an en 2020). Dans le contexte du changement climatique, il faut poursuivre l’évaluation la plus précise du bilan de carbone global. Pour cela nous disposons des inventaires sur les émissions anthropiques et l’utilisation de sols, des mesures atmosphériques (taux d’accroissement de CO2), et des observations océaniques (échanges air-mer). Le rôle du compartiment continental étant évalué à partir de modèles ou la part résiduelle des échanges quantifiés entre les autres compartiments (Friedlingstein et al. 2019). Une autre conséquence directe des émissions de CO2 et de son absorption par les océans conduit au phénomène d’acidification (diminution du pH), qui est maintenant bien observé dans toutes les zones océaniques, en particulier via la base SOCAT (Jiang et al. 2019). Toutefois, les impacts de l’acidification sur les écosystèmes marins restent à évaluer. Aussi le pH et l’acidification des océans, est maintenant reconnu, au même titre que la température ou le niveau de la mer, comme une des 7 variables témoin du changement global (Global Climate Indicator, WMO/GCOS, 2018).


Dans ce contexte, il est important de suivre d’année en année le puits de carbone océanique global. Pour cela il est nécessaire de disposer d’observations de CO2 océanique précises et, si possible, dans tous les secteurs océaniques et à différentes saisons, car le cycle du carbone océanique est très variable, dans le temps et l’espace, et suivant que l’on se trouve dans les zones au large ou zones côtières. Tel est l’objectif de la base de données SOCAT de CO2 océanique, régulièrement actualisée depuis 2011. Faisant suite aux précédentes versions, la base SOCAT s’est enrichie cette année de 3.9 millions de nouvelles données qualifiées provenant de 650 campagnes océanographiques ou capteurs sur mouillages principalement en 2017-2019 (figure 1). Depuis la première version de 2011 qui rassemblait 6.3 millions de données, SOCAT contient à ce jour près de 31 millions d’observations in-situ de la fugacité de CO2 dans les eaux de surface de l’océan global et zones côtières, couvrant la période 1957-2019 (Bakker et al. 2020). A noter, pour la première fois, l’intégration d’observations conduites à bord d’un voilier (IMOCA Newrest - Art & Fenêtres, skipper Fabrice Amedeo) durant la course Transat Jacques Vabre en 2019. Ces observations de CO2 à bord de voiliers de course au large sont programmées lors du prochain Vendée Globe (départ prévu en Novembre 2020).

 

Figure 1 :  A gauche : Distribution des nouvelles observations de fugacité du CO2 (fCO2, µatm) à la surface de l’océan intégrées cette année dans la base SOCAT-v2020 (principalement pour la période 2016-2019). A droite : L’ensemble des données SOCAT sur la période 1957-2019. Les carrés symbolisent les capteurs de CO2 sur des mouillages. Le niveau de CO2 dans l’atmosphère étant d’environ 410 ppm aujourd’hui, les zones en bleu-vert (resp. jaune-orange-rouge) indiquent que l’océan agit en qualité de puits de CO2 (resp. source). A noter l’absence d’observations récentes dans certains secteurs, notamment le Pacifique Sud, ce qui nécessite d’élaborer des modèles d’extrapolation (Rödenbeck et al, 2015; Denvil-Sommer et al, 2019) pour évaluer les échanges air-mer de CO2 à grande échelle et estimer le puits de carbone océanique intégré à l’échelle global (Figure 2).



Outre les données originales accessibles en ligne et accompagnées des commentaires d’évaluation (Quality Flag, Lauvset et al., 2019), la base propose également des produits grillés à différentes résolutions pour l’océan ouvert et côtier, pouvant être utilisés pour construire des climatologies, initialiser et valider les modèles biogéochimiques de l’océan et les modèles couplés climat/carbone (CMIP6) ou contraindre les modèles d’inversions atmosphériques (Rödenbeck et al., 2013). Un outil de visualisation interactif (LAS Data viewer) permet un accès aisé aux données, dont l’extraction peut se faire par région, période, navire ou plateforme (bouées ou mouillages). Les codes de lecture Matlab des fichiers de données et produits grillés, ainsi que le format ODV (Ocean Data View, https://odv.awi.de/) sont également accessibles en ligne.


Figure 2 : Le puits de carbone océanique global évalué sur la période 1959-2018 à partir de modèles océaniques (modèles individuels en vert, moyenne ligne noire et incertitude en grisé) ou de méthodes de reconstructions basées sur la base SOCAT (en cyan). Source: Global Carbon Project (Friedlingstein et al, 2019). Les modèles, comme les méthodes basées sur les observations, montrent que le puits de carbone océanique augmente. A noter que les observations suggèrent l’existence d’une variabilité interannuelle prononcée, non résolue par les modèles.



Cette base a été mise à profit dans plus de 320 publications et nombreux rapports internationaux (www.socat.info/publications.html), dans le cadre d’études sur les échanges air-mer de CO2 aux échelles régionales ou globale, sur l’absorption de CO2 anthropique et l’acidification des océans, ou l’évaluation de modèles biogéochimiques de l’océan et modèles couplés climat/carbone (Eyring et al., 2016).


En particulier, cette base :


- est référencée dans les rapports du GIEC (IPCC, 2019)

- sert de support aux estimations annuelles du bilan de carbone planétaire (Figure 2, Le Quéré et al, 2018; Friedlingstein et al, 2019, www.globalcarbonproject.org) et des rapports annuels sur le climat (Blunden, and Arndt, 2019)

- est exploitée pour mieux évaluer et comprendre les variations saisonnières à décennales du puits de carbone océanique dans l’océan ouvert, les zones côtières ou en Méditerranée (e.g. Landschützer et al, 2015; Laruelle et al, 2018; Rödenbeck et al, 2015; Denvil-Sommer et al, 2019; Coppola et al, 2020)

- permet d’évaluer l’évolution de l’acidification des océans (e.g. Jiang et al, 2019)

- est utilisée pour valider les reconstructions des concentrations de CO2 océaniques dérivées de flotteurs autonomes Bio-ARGO (e.g. Bushinsky et al, 2019)

- sert de base de travail pour de nouveaux projets internationaux (Wanninkhof et al, 2019 ; projet SOCONET, www.aoml.noaa.gov/ocd/gcc/SOCONET/)


Enfin, les données SOCAT sont intégrées à la base GOA-ON (Global Ocean Acidification Observing Network, www.goa-on.org).


Le laboratoire LOCEAN de l’IPSL alimente régulièrement cette base (observatoires SO/OISO, PIRATA, SSS, et en 2019 la campagne Clim-EPARSES/P.I. A. Tribollet), contribue au contrôle de qualité des données, et participe à la coordination des groupes Global et régionaux (océans Atlantique Tropical, Indien et Austral). Le projet SOCAT est coordonné par Dorothee Bakker (Université d'East Anglia, Royaume-Uni). Il a été et est soutenu par des programmes internationaux (SOLAS, IMBER, IOCCP, ICOS), européens (Carboocean, CarboChange, Atlantos) et nombreux instituts nationaux.



Références:

- Bakker, D. C. E., Pfeil, B., Landa, C. S., Metzl, N., O'Brien, K. M., et al., 2016.: A multi-decade record of high-quality fCO2 data in version 3 of the Surface Ocean CO2 Atlas (SOCAT), Earth Syst. Sci. Data, 8, 383-413, doi:10.5194/essd-8-383-2016.

- Bakker, D., and all >100 SOCAT contributors, 2020. SOCAT version 2020: Key in the value chain of surface ocean CO2 measurements. Available on-line, www.socat.info .

- Blunden, J. and D. S. Arndt, Eds., 2019: State of the Climate in 2018.Bull. Amer. Meteor. Soc.,100(9), Si–S305, doi:10.1175/2019BAMSStateoftheClimate.1

- Bushinsky, S. M., Landschützer, P., Rödenbeck, C., Gray, A. R., Baker, D., et al., 2019. Reassessing Southern Ocean air-sea CO2 flux estimates with the addition of biogeochemical float observations.Global Biogeochemical Cycles, 33. doi: 10.1029/2019GB006176

- Coppola, L., J. Boutin, J.-P. Gattuso, D. Lefèvre, N. Metzl, 2020. The Carbonate System in the Ligurian Sea. InThe Mediterranean Sea in the Era of Global Change: Evidence from 30 years of multidisciplinary study of the Ligurian Sea,C. Migon, P. Nival, A. Sciandra, Eds. (ISTE Science Publishing LTD, London, UK, 2020), vol. 1, chap. 4, pp. 79-104. ISBN: 9781786304285.

- Denvil-Sommer, A., Gehlen, M., Vrac, M., and Mejia, C., 2019: LSCE-FFNN-v1: a two-step neural network model for the reconstruction of surface ocean pCO2 over the global ocean, Geosci. Model Dev., 12, 2091-2105, https://doi.org/10.5194/gmd-12-2091-2019.

- Eyring, V., Righi, M., Lauer, A., Evaldsson, M., Wenzel, S., et al., 2016. ESMValTool (v1.0) – a community diagnostic and performance metrics tool for routine evaluation of Earth system models in CMIP, Geosci. Model Dev., 9, 1747-1802, doi:10.5194/gmd-9-1747-2016.

- Friedlingstein, P., Jones, M. W., O'Sullivan, M., Andrew, R. M., Hauck, J., et al., 2019. Global Carbon Budget 2019, Earth Syst. Sci. Data, 11, 1783–1838, https://doi.org/10.5194/essd-11-1783-2019, 2019.

- IPCC, 2019: IPCC Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, V. Masson-Delmotte, P. Zhai, M. Tignor, E. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Nicolai, A. Okem, J. Petzold, B. Rama, N. Weyer (eds.)]. In press.

- Jiang, L.-Q., Carter, B. R., Feely, R. A., Lauvset, S. K. and Olsen, A., 2019. Surface ocean pH and buffer capacity: past, present and future.Sci Rep9,18624; doi:10.1038/s41598-019-55039-4

- Laruelle, G. G., Cai W.-J., Hu X., Gruber N., Mackenzie F. T., Regnier P., 2018. Continental shelves as a variable but increasing global sink for atmospheric carbon dioxide.Nature Communications,9, 454,   doi:10.1038/s41467-017-02738-z

- Landschützer, P., Gruber, N., Bakker, D. C. E., Haumann, F. A., Rödenbeck, C., et al., 2015. The reinvigoration of the Southern Ocean carbon sink. Science 349 (6253): 1221-1224. doi:10.1126/science.aab2620

- Lauvset S., K. Currie, N. Metzl, S. Nakaoka, D. Bakker, K. Sullivan, A. Sutton, K. O'Brien and A. Olsen,  2019. SOCAT Quality Control Cookbook For SOCAT version 7. Int. Report. www.socat.info.

- Le Quéré, C., Andrew, R. M., Friedlingstein, P., Sitch, S., Hauck, J., et al., 2018: Global Carbon Budget 2018, Earth Syst. Sci. Data, 10, 2141-2194, https://doi.org/10.5194/essd-10-2141-2018, 2018.

- Le Quéré, C., Jackson, R.B., Jones, M.W. et al.Temporary reduction in daily global CO2 emissions during the COVID-19 forced confinement.Nat. Clim. Chang. (2020). doi:10.1038/s41558-020-0797-x

- Metzl, N., Tilbrook, B., Bakker, D., Le Quéré, C., Doney, S., Feely, R., Hood, M., Dargaville, R., 2007. Global Changes in Ocean Carbon: Variability and Vulnerability. Eos, Transactions of the American Geophysical Union 88 (28): 286-287. doi: 10.1029/2007EO280005

- Rödenbeck, C., Keeling, R. F., Bakker, D. C. E., Metzl, N., Olsen, A., Sabine, C. L., and Heimann, M., 2013. Global surface-ocean pCO₂ and sea-air CO₂ flux variability from an observation-driven ocean mixed-layer scheme. Ocean Science, 9, 193‑216. doi:10.5194/os-9‑193‑2013.

- Rödenbeck, C., Bakker, D. C. E., Gruber, N., Iida, Y., Jacobson, A.R., et al., 2015. Data-based estimates of the ocean carbon sink variability – First results of the Surface Ocean pCO2 Mapping intercomparison (SOCOM). Biogeosciences 12: 7251-7278. doi:10.5194/bg-12-7251-2015.

- Wanninkhof, R., P. Pickers, A. Omar, A. J. Sutton, A. Murata, et al., 2019. A surface ocean CO2 reference network, SOCONET and associated marine boundary layer CO2 measurements. Frontiers in Marine Science, 6, 400, DOI:10.3389/fmars.2019.00400

- WMO/GCOS, 2018: https://gcos.wmo.int/en/global-climate-indicators



Contact

Nicolas Metzl - LOCEAN-IPSL / OSU Ecce Terra - nicolas.metzl@locean-ipsl.upmc.fr - Tél : 01 44 27 33 94 / 06 77 47 72 48

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