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Gilles REVERDIN

Gilles Reverdin est chercheur au LOCEAN. Avant de découvrir les océans, ce passionné des déserts a soutenu sa thèse sur la mousson indienne en 1980. Il a alors découvert que les océans étaient l'objet d'importantes études. Grand voyageur, il a beaucoup travaillé à l'étranger, en Afrique et aux Etats-Unis notamment, avant de s'installer au LOCEAN, dont il est directeur-adjoint. Il est responsable scientifique recherche et développement de Coriolis, coordinateur des SOERE, un réseau d'observations de recherches en environnement. Enfin, il encadre de nombreux étudiants en thèse et M2.



Gilles Reverdin, vous êtes chercheur au LOCEAN et directeur-adjoint du laboratoire. Qu'est ce qui vous a poussé vers la recherche ? Quel est votre parcours ?

Je pense avoir eu la vocation de chercheur vers l’âge de 10 ans. Ma mère s’intéressait aux langues orientales, j’ai de ce fait beaucoup voyagé étant petit, notamment en Iran dont j’ai découvert les déserts. J’étais très intéressé par le cycle hydrologique et je voulais comprendre pourquoi il y avait des déserts et d’où venait l’eau dans les déserts.


J’ai suivi une formation de physique à l’ENS à Paris puis j’ai fait une thèse sur la mousson indienne au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) que j’ai soutenue en 1980. Pendant mon travail de thèse, j’ai fait plusieurs expériences sur le terrain, notamment aux Seychelles. J'ai en particulier étudié la couche limite atmosphérique au-dessus de l'océan Indien lors de la mousson d'été. Au cours d'un de ces  séjours, j'ai découvert que les océans étaient aussi l'objet d'importantes études, domaine que j'ignorais jusque-là. Ensuite, mes recherches m’ont amené à plonger un peu plus bas dans l’océan, tout en restant près de la surface.


Après ma thèse, j’ai participé, en tant que scientifique dans le cadre du service national, à l’expérience COPT en Afrique sur l’étude des lignes de grain en Côte d’Ivoire, Mali et Niger, puis j’ai eu la chance d’obtenir un poste de chercheur au CNRS en 1981, à ma deuxième présentation. Je me suis alors retrouvé dans un laboratoire de recherche où il y avait beaucoup de conflits humains, ce que j’ai très mal vécu. J’ai refusé le poste de directeur-adjoint qu’on me proposait car je n’avais aucune expérience de la vie de laboratoire et je n’avais presque pas publié. J’avoue ne pas avoir de très bons souvenirs de ces premières années de chercheur.


Je suis rapidement parti aux Etats-Unis, à Boston, pour un an et demi. Je travaillais sur un programme franco-américain sur l’océan Atlantique tropical. A mon retour, j’ai travaillé quelques années au Laboratoire d'Océanographie Physique et j’ai fait de nombreux séjours à Dakar.


Gilles Reverdin


Je me suis joint à l’équipe du LODYC (futur LOCEAN) à sa création en 1985 et, en 1990, je suis parti cinq ans au Lamont-Doherty Earth Observatory (LDEO) à New-York. Ce changement m’a permis de m’ouvrir à d’autres thématiques, notamment la géochimie et les sciences du climat. Ayant décidé de rentrer en France et souhaitant un cadre moins trépidant que Paris, j'ai choisi d'intégrer le Laboratoire d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS) basé à Toulouse, en 1995, où on me proposait de renforcer mes projets d’observation de l’océan et d’interagir au sein d’un groupe d’océanographes assez solidaires entre eux.


Je suis finalement revenu au LODYC en 2001, pour y travailler entre autres, sur le projet POMME (Programme Océan Multidisciplinaire Méso-échelle) avec Laurent Mémery, et j’y suis resté depuis.


Ces différentes expériences m’ont beaucoup apporté et j’en ai gardé énormément de contacts qui ont débouché sur de nombreuses opportunités de travaux de recherche.



Des rencontres vous ont-elles inspiré dans votre choix professionnel ?

Petit, je côtoyais parfois Théodore Monod  : il m’a donné le goût de l’aventure et m’a beaucoup impressionné. C’était un modèle pour moi et je lui devais en particulier cet intérêt des déserts. Contrairement à moi, il était à l’origine un passionné de la mer qui est devenu ensuite passionné des déserts.


J’ai beaucoup travaillé avec Henri Ovarlez, ingénieur au LMD, lorsque je faisais ma thèse, et plus tard avec Maurice du Chaffaut, ingénieur au LOP, puis au LODYC. Ils m’ont donné le goût de l’instrumentation et de la physique de la mesure.


En océanographie, j’ai rencontré plusieurs personnes influentes :


- Michèle Fieux, grande océanographe au LODYC.

- John Swallow , maintenant décédé, un chercheur de l’ancienne génération qui avait débuté pendant la seconde guerre mondiale et qui était une personne que j’aimais beaucoup. Il avait fait plusieurs tours du monde dans la Navy et développé les premiers flotteurs suivis acoustiquement en circulation océanique. Il s’intéressait, en particulier, à l’océan indien.

- Mark Cane  : un océanographe modélisateur climatologue au Massachussetts Institute of Technology (MIT), puis au LDEO avec lequel je continue à échanger régulièrement.


Et, bien évidemment les rencontres et échanges avec mes collègues au quotidien font la richesse de la vie scientifique.


Sur le navire océanographique ANTEA en 2009



Vous êtes directeur-adjoint du LOCEAN depuis quelques années, comment organisez-vous votre travail ?

En fait, je ne sais plus trop depuis quand je suis directeur-adjoint du LOCEAN, mais j'arrive au bout de mon mandat !


Ce rôle ne prend bien sûr pas autant de temps que celui de directeur, mais certaines charges et soucis sont partagés, la difficulté étant les soucis et non les charges. Du coup, le temps investi dans la recherche est moindre : environ un quart du temps est consacré à la fonction d’adjoint (associé à d'autres tâches administratives). J’ai donc assez de temps pour pouvoir m’impliquer dans mes programmes de recherche et mes activités scientifiques, ce qui est bien plus difficile pour un directeur de laboratoire.


Parallèlement à ces fonctions, j’ai été chargé de mission à l’ Institut National des Sciences de l'Univers du CNRS en 2007 et 2008 et je suis responsable scientifique recherche et développement du groupe scientifique Coriolis (projet inter-organismes d'observation de l'état de l'océan) et coordinateur des SOERE, un système d’observation et d’expérimentation pour la recherche en environnement, pour des mesures dans l’eau.


J’encadre des étudiants en thèse de doctorat et des stagiaires de M2 ou d’école d’ingénieur et c’est toujours un plaisir pour moi de travailler avec eux.

 


Avez-vous encore le temps de participer à des campagnes ?

Je participe finalement à peu de campagnes en mer.


Je vais partir un mois cet été à l’occasion de la campagne STRASSE SPURS dont je suis le responsable. Cette campagne aura lieu en Atlantique tropical (25° nord), dans une zone d’alizés très pauvre en apports nutritifs, où la salinité de surface des océans est maximum et où il y a assez peu de variabilité. Nous souhaitons en particulier comprendre l’origine de cette forte salinité et contraindre le bilan des échanges d’eau entre l’océan et l’atmosphère. Nous partons sur le Thalassa, un très beau navire de l’ Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la MER (IFREMER), un peu plus grand que le Suroît que l‘on utilise habituellement pour ce genre de campagnes. D’autres campagnes suivront en fin d’hiver et au début du printemps.


C’est la recherche qui m’a poussé à aimer travailler sur les bateaux et, thématiquement, la mer est devenue une passion, mais ce pourrait être tout à fait autre chose.


 

Récupération de l'ASIP (profileur autonome de micro-structure et structure fine océanique) à bord de l'ANTEA, navire océanographique de l'IRD, en 2009 dans le golfe de Gascogne, lors de la campagne Gogasmos. L'ASIP est déployé pendant quelques jours et profile verticalement en se laissant dériver par les courants. Il est actuellement mis en oeuvre par Brian Ward (Université de Galway, Irlande).

© Denis Dausse - Antonio Lourenço / LOCEAN



Vous rappelez-vous de votre première expérience scientifique ?

Bien sûr ! Pendant ma thèse, je travaillais sur des jeux de données et j’entrais les données sur des cartes. C’était un travail assez long et très technique et je pense que, scientifiquement, cela m’a amené à être très critique sur les données en général.


Toujours pendant ma thèse, lors d’une campagne aux Seychelles, mon activité scientifique principale était de cirer des ballons pressurisés de couche limite. Cela devait leur permettre de ne pas tomber dans l’eau lors de leur passage dans les nuages : les gouttes d’eau glissaient le long du ballon et leur poids était donc minimal. Finalement, beaucoup de ballons tombaient et je ne sais pas si mon travail a été d‘une grande efficacité. En tout cas, cela rend humble !

 


Quels évènements vous ont le plus marqué au cours de votre carrière ? Quelle est votre plus grande fierté scientifique ?

Trois évènements en particulier m’ont marqué.


J’ai récupéré des données de salinité du gyre subpolaire nord Atlantique, qui permettent de reconstituer sa variabilité sur près de 120 ans. C’était toute une aventure de recherche, en particulier dans les bibliothèques et vieilles archives de différents instituts, en Ecosse, en Norvège, au Danemark et en Suède (en Norvège, des grimoires rescapés partiellement des flammes de bombardements de la dernière guerre mondiale et en Suède, dans des boîtes à chaussures du grenier d'un musée de Göteborg !). Ces données étaient principalement récoltées par des navires de commerce, sous l'égide du Conseil International pour l'Exploration de la Mer jusque dans les années 1970. Depuis, certains instituts ont continué cet effort, en particulier l'ORSTOM en France depuis le début des années 1990, sur les navires de commerce pour les projets WOCE et CLIVAR , auxquels j'ai directement contribué.


Ma plus grande fierté est d’avoir contribué à une étude qui suggérait un peu en avance sur son temps un mode de variabilité du climat de l’océan indien. En effet, j’ai mené un petit projet en marge de mon travail officiel de post-doc au MIT, qui a été publié en 1985. Je remercie Mark Cane qui m’accueillait alors et qui a eu la clairvoyance de me laisser faire ce genre d’activité sortant du chemin prévu, en collaboration avec deux étudiants en thèse au MIT auxquels je dois beaucoup.


Enfin, j’ai survécu et profité de l’interaction avec un collègue au caractère parfois un peu vif lors de l’expérience POMME !

 


Qu'est ce qui vous motive dans votre métier ?

Je pense que c’est la curiosité, le fait de vouloir aller de l’avant et de se lancer de nouveaux défis en s’impliquant dans de nouveaux projets. On a l’impression qu’on peut apporter une pierre à l’édifice, même si elle est toute petite. Mais c’est aussi l’envie de revoir mes collègues et d’échanger avec eux.

 


 Qu'est-ce qui vous déplaît dans votre métier ?

Qu’il soit de plus en plus difficile de trouver un poste stable et un emploi qui ait un sens. Les jeunes doivent maintenant passer parfois des dizaines d’auditions pour obtenir un poste. En général, même si certains de nos étudiants ont trouvé un poste stable dans la recherche, je suis toujours inquiet quant à leur avenir. Je ne m’attendais pas à devoir faire face à cette situation aussi rapidement. Et puis, en tant que directeur adjoint, je dois pouvoir résoudre des problèmes humains, ce qui n’est pas facile car je n’y suis pas du tout préparé, faute de formation en ressources humaines.


De plus, le système de gestion de la recherche change constamment et il faut maintenant répondre à toujours plus d’appels d’offres pour avoir un minimum de financement. C’est très chronophage.



Que ne changeriez-vous pour rien au monde ?

Je pense avoir beaucoup de chance dans mon travail car j’ai eu de belles opportunités de campagnes en mer et de développements d’instruments. Notre flotte nationale de recherche marche plutôt bien. Au niveau des observations, de gros efforts ont été faits par les organismes, et notamment l’INSU, pour les maintenir sur le long terme. Nos collègues étrangers n’ont pas toujours cette chance et nous envient parfois.

 


D’après vous, quelles qualités faut-il avoir pour bien travailler dans la recherche ?

La persévérance et la curiosité sont indispensables. Si on est bon, c’est encore mieux, mais avec ces deux qualités, on y arrivera. Il faut travailler sur la durée et ne pas se décourager, aussi bien pour l’obtention d’un poste que pour mener à bien ses recherches. La curiosité est bien sûr le moteur qui fait avancer la recherche.


Et surtout, je pense qu’il faut aussi savoir apprécier le travail de ses collègues, c’est-à-dire ne pas être trop individualiste et savoir travailler en équipe.

 



Si vous ne deviez donner qu'un conseil à un jeune qui hésite à se lancer dans la recherche, ce serait quoi ?

S’il s’agit d’un adolescent passionné, je l’inciterais à suivre les formations qui l’orienteront éventuellement vers la recherche.


S’il s’agit d’un étudiant en master, à l‘heure actuelle, je ne l’encouragerais que s’il est sûr de lui et qu’il est d’un niveau suffisamment bon. Le système est très dur et ne tolère que les personnes les plus motivées. A ce niveau d’études, Il faut vraiment savoir ce qu’on veut faire pour y arriver.



Que feriez-vous si vous n’étiez pas chercheur ?

Il m’arrive de temps en temps, quand j’ai besoin de me défouler, de me dire « ah, si j’étais jardinier ! » En fait, j’ai toujours dit que je serais jardinier un jour...

 


En dehors du travail, quelle est votre occupation préférée ?

Quand mes enfants m’en laissent le temps, j’aime bien marcher et randonner, cela m’apaise. Quand on est chef de mission sur un bateau, on court tout le temps, mais ce n’est pas du tout la même chose que randonner et c’est très frustrant après plusieurs semaines en mer.

 

Le Thalassa, navire océanographique de l'IFREMER



Souhaitez-vous ajouter un point de vue personnel ?

Dans quelques semaines, je ne serai plus directeur-adjoint du laboratoire et n’aurai donc plus de responsabilités au sein de la direction. J’en suis assez content car j’aurai plus de temps à consacrer à mes recherches. En même temps, je suis un peu inquiet car il faut que  je m’organise de façon à occuper ce temps le mieux possible. Je pense aussi à l’après, il faut savoir s’arrêter dans le métier de chercheur et préparer sa retraite. Comment continuer et à quel niveau ? Pour le moment je ne pense pas m’arrêter, j’ai encore quelques années pour y penser...









Entretien fait à Paris en mai 2012

Propos recueillis par Isabelle Genau et Catherine Senior

Rédaction : Isabelle Genau

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