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En attendant que Curiosity sorte de l'ombre, Michel Cabane fait le point

Michel Cabane

Michel Cabane


Après quatre semaines de « repos forcé » dû aux positions relatives de la Terre, du Soleil et de Mars, Curiosity va reprendre du service le 1er mai. Michel Cabane, professeur émérite à l’UPMC et chercheur au Laboratoire « Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales » (LATMOS, CNRS/UPMC/UVSQ) revient sur les enjeux de la mission et sur les premières analyses effectuées depuis l’arrivée du rover sur la planète rouge.



Après 3 mois de réglages et de mise en œuvre technique du rover sur Mars, l’aventure a pu enfin commencer fin 2012.

Michel Cabane. Oui mais pas aussi vite que certains de mes collègues travaillant sur les données de Curiosity l’auraient souhaité ! Le rover a avancé de 600 m depuis août 2012 alors que sa vitesse nominale de croisière peut atteindre cent mètres par jour. C’est un long cheminement, certes semé d’embûches – nous ne sommes pas sur Terre et toute anicroche donne lieu à enquête approfondie ; on se souvient en particulier de la défaillance temporaire de l’un des ordinateurs centraux – mais aussi de découvertes inespérées qui nous ont conduits à rester p semaines à certains endroits.


Curiosity

Le rover Curiosity

 

Cratère Gale sur Mars

Le cratère Gale où s'est posé Curiosity (dans l'ellipse)


Curiosity a commencé par Link et Hottah, des affleurements rocheux particulièrement intéressants et révélateurs.

Poudingues

Comparaisons des poudingues sur Mars et sur Terre

M. C. Les caméras d’observation rapprochée ont mis en évidence des galets cimentés dans une matrice rocheuse.  Fréquents sur Terre, et appelés « poudingues », il s’agit de conglomérats de cailloux et de sédiments. La forme en « cailloux roulés » laisse supposer des mouvements d’eau relativement intenses dans cette zone. Des graviers de plusieurs centimètres de diamètre, trop gros pour avoir pu être déplacés par le vent, auraient donc été transportés par de l’eau sous forme liquide.





La recherche de traces de vie passe par celle de méthane, molécule essentielle avec l’eau.

M. C. Sur Terre, 0.0002 % de l’air est constitué de méthane (CH4). Environ 97% de ce méthane provient de la vie présente ou passée (gaz des marais, termitières, flatulences, grisou, etc.) et 3% d’origine géologique. Le méthane est donc en grande partie d'origine biologique et sa recherche sur Mars est très importante car elle touche à l’origine de la vie. Depuis la Terre ou bien depuis son orbite autour de Mars, l’instrument TLS sur SAM a observé des concentrations de méthane environ 100 fois plus faibles que sur Terre. En 1976 déjà, Viking avait trouvé du chlorométhane (CH3Cl) sur Mars.  Depuis, des perchlorates ont été observés dans le sol de Mars par l’atterrisseur Phoenix en 2007 et on sait par ailleurs que le contact de perchlorates avec la matière organique produit du chlorométhane. Viking avait donc probablement observé le produit de la réaction des perchlorates martiens avec de la matière organique. Les observations de Curiosity sont les même que celles de Viking : présence de chlorohydrocarbures CH3Cl et de CH2Cl2. La question reste donc entière : d’où vient la matière organique à l’origine de la production de chlorométhane ?  Vient-elle d’une pollution terrestre ? de Mars ? Et quelle est la part de la matière organique extraterrestre abiotique ?


Vous êtes coresponsable de l'instrument SAM (Sample Analysis at Mars). À quoi sert-il ?

Le laboratoire SAM de Curiosity

Le laboratoire SAM de Curiosity (Responsable P. Mahaffy, GSFC, NASA). Le chromatographe en phase gazeuse SAM-GC, développé par le LATMOS et le LISA (IPSL), avec des crédits alloués par le CNES, est en bas, à droite. L’ensemble SAM pèse environ 40kg (la totalité de la charge utile scientifique de Curiosity pèse 80 kg).

M. C. SAM est un laboratoire itinérant multi-instruments qui réalise des analysesin situde l’atmosphère et du sol et du proche sous-sol de Mars. Il sert à détecter une large gamme de composés organiques issus de l'atmosphère et du sol, de gaz de constitution des minéraux, et à rechercher les isotopes du carbone et des autres atomes ainsi détectés, ainsi que des isotopes des gaz rares. C’est un couplage entre un module de préparation d'échantillons solides ou gazeux (en particulier par chauffage d’échantillons de sol ou de poudre rocheuse) et un module d'analyse de la phase gazeuse résultant de la préparation : spectromètre de masse (QMS), spectromètre à diode laser accordable  (TLS), shromatographe en phase gazeuse (GC).





Le site de Rocknest n’a rien à voir avec celui de Hottah

M. C. C’est en effet une plage de sable basaltique, d’un genre bien répandu sur Mars. Curiosity s’en est servi pour une première série d’analyses  et SAM en a analysé les molécules constitutives (chauffage à 800°C, spectrométrie de masse, chromatographie). L’oxygène (O2) proviendrait de perchlorates de calcium (CaClO4), molécules relativement « agressives » (corrosives) pour la matière organique, déjà observées par Phoenix, dans la région subpolaire Nord. Il semble donc que le sol de Mars contienne de la matière agressive partout puisque Curiosity est maintenant dans la région équatoriale. L’analyse a d'autre part mis en évidence la présence de molécules d’eau adsorbées, c’est-à-dire en surface des grains de sable et de molécules d’eau chimiquement faiblement liées, c’est-à-dire incluse dans un corps hydraté. Même constat pour le dioxyde de carbone (CO2) qui est soit adsorbé en surface, soit présent dans la structure proprement dite (par exemple du carbonate de calcium, CaCO3). Les scientifiques ont également trouvé des composés soufrés et des chlorohydrocarbures.


Rocknest

Le site de Rocknest


Venons-en au site John Klein. C’est là que ChemCam entre en scène.

Des veines de CaSO4 dans la roche, sur Mars et sur Terre

M. C. L'instrument CHEMCAM (CHEMistry CAMera) est la deuxième contribution majeure de la France à la mission MSL. Placé sous la coresponsabilité de la NASA (JPL) et de Sylvestre Maurice de l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) (anciennement Centre d’étude spatiale des rayonnements, CESR), il analyse par spectrométrie la lumière d'un plasma issu d'un tir laser (jusqu'à 9 m de distance) sur des roches martiennes. L'ensemble du dispositif comprend un laser, un télescope, une caméra et de l'électronique associée. Un laser de puissance tire sur une cible, la roche, ce qui provoque la fusion du matériau et l'apparition d'un plasma que l'on détecte à distance en spectroscopie UV-visible. ChemCam est utilisé depuis le début de la mission et, entre autres,  permet d’apprécier, à distance,  le degré d’intérêt des cibles potentielles rencontrées, en déduisant leur nature de l’analyse atomique de leur composition. A John Klein, ChemCam a ainsi conclu à la présence de sulfate de calcium (gypse, bassanite), caractéristique de dépôts en phase liquide.


Site John Klein

Forage sur le site John Klein

La surface des roches  à John Klein est à dominante brun-rouge comme ailleurs sur Mars (d’où le surnom de Planète rouge), couleur représentative du fer oxydé par des milliards d’années de contact avec l’atmosphère. Un premier forage a permis de mettre au jour une roche native gris-vert moins oxydée. L’analyse dans SAM par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse a mis en évidence la présence de CO2 et de O2 dans des conditions d’extraction à 200°C, comme à Rocknest. L’eau est, quant à elle, apparue à partir de 400°C, ce qui signifie qu’elle était plus profondément « ancrée » dans la roche et qu’il s’agit sans doute d’eau de structure provenant, par exemple dune argile (-(OH)n). Ceci a été confirmé par les analyses de l’instrument CheMin. L’intervalle de températures dans lequel apparaît H2O gazeux fait penser à de la smectite. Il faut remarquer que les argiles sont, comme l’eau liquide, des ingrédients nécessaire au passage de molécules organiques complexes (décharges atmosphériques, glaces de l’espace interplanétaires irradiées, fumeurs océaniques, etc.) aux précurseurs de la vie. La présence confirmée sur Mars, par réflectance spectrale depuis des satellites en orbite,  de ces argiles, de carbonates et d’autres minéraux est elle aussi associée à des cônes alluviaux liés à des lits de rivière desséchée.  Enfin, l’analyse par chauffage dans SAM a mis en évidence la présence de soufre sous la forme H2S ou SO2 et dans un environnement relativement neutre (pH=7). La combinaison (argile + milieu à pH neutre) nous conforte elle aussi dans notre hypothèse d’un milieu aqueux qui pourrait être propice à l’apparition de la vie sur Mars. Ainsi qu’il a été dit par John Grotzinger, chef de projet scientifique de Curiosity, nous avons, ici réunis, des indices d’une possible habitabilité passée de Mars, c’est à dire que les conditions nécessaires à la vie ont autrefois été réunies sur Mars, avant que cette planète ne subisse l’évolution qui l’a conduite à ce qu’elle est maintenant.


Il reste qu'on n'a pas encore trouvé de preuve que les ‘briques élémentaires de la vie’ ont pu apparaître sur Mars. Des chlorohydrocarbures ayant été observés à John Klein par les instruments MS et GC de Curiosity, d'autres mesures sont maintenant prévues pour chercher de la matière organique, en prenant toutes les précautions pour prouver qu’il s’agit bien de matière martienne.  Ensuite, des analyses plus fines pourront être entreprises.

 

Curiosity poursuit donc sa route vers le Mont Sharp (à 5.000 mètres d’altitude).

M. C. Les recherches vont reprendre le 1er mai et les scientifiques comptent mener un nouveau forage pour confirmer les premiers résultats et chercher plus étroitement des indices de la présence de carbone organique. Curiosity célèbrera à sa façon la fête du travail en se remettant à l’ouvrage ! Ensuite, ce gros rover se dirigera vers les contreforts du Mont Sharp ou commencera aussi un nouveau travail : étudier la stratigraphie et la composition des dépôts anciens que l’on trouve lorsque l’on commence à gravir les pentes.

 

Mont Sharp

Les contreforts du mont Sharp

 

  

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